La petite mendiante

 

 

Et quand j’ai bien chanté, chanté sans perdre haleine,

On me frappe là-bas, si je n’apporte rien...

Je n’ai jamais connu que le poids de la chaîne,

Et jamais une voix n’a dit : Enfant, c’est bien !

Lorsque je vois passer ces petits que l’on aime,

Qu’une mère attentive a posés sur ses bras,

Moi, fatiguée encor de ma lutte suprême,

Je n’ai pour reposer mon pauvre corps si las

Qu’une paillasse usée où, sans feu, sans lumière,

Dans un cabinet noir, je dois passer la nuit ;

Et quand il fait trop froid, pour couvrir ma misère

On me jette un vieux schall pour réchauffer mon lit.

Et demain, c’est Noël ! Aux portes d’une église,

Ces gens qui m’ont volée et qui n’ont pas de cœur,

Malgré le temps de neige et la cruelle bise,

M’enverront pour quêter le pain de la douleur !...

Les aimables bébés, ceux qui savent sourire,

Paraissent attristés en passant près de moi,

Regardent leur maman comme s’ils voulaient dire :

Pourquoi tous les enfants ne sont-ils pas à toi ?...

Oh ! ceux-là sont charmants, et ceux-là je les aime ;

Sans faire un mouvement ils me pressent la main,

– Ce seront des heureux – moi je leur rends de même ;

Mon pauvre cœur les suit bien loin sur leur chemin !

Ce soir, le bon Jésus donnera mille choses

À tous ces chérubins : c’est leur jour de Noël,

Le Noël des enfants, fleuri comme les roses ;

Le mien, où le trouver ?... C’est si loin, le beau ciel !...

Et là-bas, et là-bas, au lieu de ma misère,

Si dans mes faibles doigts ne résonne aucun bruit,

Je vais être battue et n’aurai pas de mère

Pour m’aider à passer moins tristement la nuit...

 

 

                                    ENVOI

 

Donnez, mes chers enfants, à ceux que leurs familles

Ne peuvent soulager, des jouets et du pain.

On souffre doublement à souffrir dans les villes ;

Dans les champs on sait mieux ne pas mourir de faim :

Le malheureux toujours au fond de la chaumière

Trouve après le souper bon gîte et bon accueil ;

Dans la ville où l’on est plus loin de la misère,

Le pauvre pour dormir n’a parfois qu’un cercueil !...

 

 

 

Eugénie CASANOVA, Heures de poésie, 1903.

 

 

 

 

 

 

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