Prière
À Benoît Quinet.
Pour les poètes morts je vous prie humblement,
Seigneur... Contemplent-ils votre gloire bénie ?
Je me trouble, je prie avec un tremblement...
Oh ! si leurs yeux avaient heurté l’ombre infinie :
Eux faits pour mieux voler à votre jour divin,
S’ils avaient déchiré leur aile vaine et lasse :
Eux faits pour mieux se joindre au chant du séraphin,
Aux rythmes amoureux dont le ciel vous enlace,
Eux faits pour votre claire et douce royauté,
S’ils avaient pour leur chef hideux le roi de l’ombre,
S’ils entendaient – chercheurs d’harmonique beauté –
Les grincements, les cris aigris du gouffre sombre...
Seigneurs, quels désespoirs, quels abîmes d’ennui
Pour leurs cœurs se tordant vers Vous, l’Inaccessible !
Oh ! faites rayonner vos yeux dans cette nuit
Et pardonnez, s’il est possible...
Pitié pour eux, Jésus, Poète essentiel :
Pitié par vos douleurs, pitié par votre gloire,
Pitié par votre Sang que leur soif voudrait boire,
Pitié par votre Cœur dont l’amour fait le ciel...
Mais si pour ces captifs de l’éternité noire
Nulle grâce ne peut ramener la victoire, –
Pitié pour nous, Seigneur, pour nous qui survivons,
Pour nous, leurs fils, pour nous, leurs frères ;
Vous êtes l’idéal vivant que nous rêvons :
Donnez-nous, dans la nuit des efforts littéraires,
De le voir, et malgré tant de brumes contraires,
Au temple et sous les cieux profonds
De lever jusqu’à Vous ces yeux que nous levons !
Jean CASIER.
Paru dans L’Année des poètes en 1897.