Vers dorés
Des vers retentissants valent-ils le silence
D’une âme qui remplit son devoir simplement
Et, pour autrui toujours pleine de vigilance,
Trouve sa récompense et sa joie en aimant ?
La splendeur de la forme est une corruptrice ;
Les ivresses du beau rarement nous font purs :
Recherche pour ton âme une autre inspiratrice
Que la Vénus aux yeux changeants, tendres ou durs.
Accomplis ton devoir, car la beauté suprême,
Tu le sais maintenant, n’est pas celle des corps :
La statue idéale, elle dort en toi-même ;
L’œuvre d’art la plus haute est la vertu des forts.
Le saint est le très noble et le sublime artiste,
Alors que de sa fange il tire un être pur,
Et tire un être aimant d’un bête égoïste,
Comme un sculpteur un dieu d’un lourd métal obscur.
L’humble héros qui lutte et qui se sacrifie,
S’offrant à la douleur, à la mort sans trembler,
Seul t’apprendra les fins augustes de la vie ;
Et c’est à celui-là qu’il te faut ressembler.
Des tristes, des souffrants, de tant d’âmes qui pleurent,
Approche avec amour, et les viens relever :
C’est en luttant, souffrant, en mourant comme ils meurent,
Qu’ils t’ont permis de vivre et permis de rêver !
Regarde-les parfois entrouvrant leurs yeux mornes
Sur cette vie étrange et terrible pour eux.
Que ta religion soit la pitié sans bornes !
Allège le fardeau de tous ces malheureux !
De ton âme l’ennui mortel faisait sa proie,
Étant le châtiment de l’incessant désir ;
Du fier renoncement de ton âme à la joie,
Goûte la joie austère et le sombre plaisir.
Sache que les héros, les saints, tu les imites
En détruisant en toi l’égoïsme d’abord ;
Meurs à toi-même, afin de vivre sans limites :
Toute âme pour grandir doit traverser la mort.
Connais du vrai héros la volupté profonde ;
Libre des sentiments égoïstes et bas,
Sentant battre ton cœur avec le cœur du monde,
Habite un lieu du divin où la mort n’atteint pas.
Quand à l’âme de tous ton âme est réunie,
Si bien que leur douleur est ta propre douleur,
Alors tu fais ta vie immortelle, infinie,
Et fais large ta joie en y mêlant la leur.
Oui, ta vie est sublime, est harmonique et pleine,
De cette heure où ton être étroitement confond
Sa destinée avec la destinée humaine,
Et rentre, goutte d’eau, dans l’Océan profond.
Henry CAZALIS, L’Illusion : Chants de l’Amour et de la Mort.