La femme adultère
I.
Voyez ! Jésus paraît. La foule le contemple :
Il est seul et s’avance à pas lents vers le temple ;
Sa robe que n’égale aucun travail humain
Et qu’un ange sans doute a faite de sa main,
Couvre de flots d’azur les dalles des portiques
Où résonnait déjà le chant des saints cantiques.
Jamais roi revêtu de plus de majesté
N’a marché dans les murs de la sainte cité.
Il s’arrête... Chacun et le presse et le touche !
Il parle.... C’est du miel qui coule de sa bouche !
Avides de le voir et d’entendre sa voix,
Des groupes animés l’entourent à la fois,
Disant : C’est le Messie ! ou bien : C’est un prophète !
Une troupe d’archers pénètre dans la fête ;
Ces hommes, ô prodige ! à l’aspect de Jésus,
Par un céleste frein tout-à-coup retenus,
Saisis d’étonnement, les yeux remplis de larmes,
Au lieu de l’arrêter laissent tomber leurs armes ;
En vain pour ce projet leur chef les a conduits,
Et quand il leur reproche aussi d’être séduits,
Ils disent simplement à celui qui les somme :
« Jamais nul n’a parlé comme parle cet homme ! »
II.
Le lendemain matin, aux premiers feux du jour,
Dans le temple Jésus est déjà de retour :
Sous ses toits embaumés la foule se réveille,
Et tout émue encor des troubles de la veille,
Autour de l’Homme-Dieu se presse en flots nombreux,
Et lui les instruisait assis au milieu d’eux,
De ses doigts de satin, l’aurore parfumée,
Semait de pourpre et d’or le ciel de l’Idumée
Dont l’azur recelait un nuage d’argent
Que la brise poussait d’un souffle négligent ;
Projetant au hasard ses formes et ses ombres,
La ville se teignait de nuances moins sombres ;
Tout s’éclairait... du haut du mont des Oliviers
Le soleil se mirait dans les eaux des viviers.
Du temple déjà même il éclairait le dôme,
Qui paraissait de loin un immense fantôme,
Et dont les piliers vus aux feux du jour naissant
Semblaient des nains groupés aux genoux d’un géant.
En ce moment s’élève une rumeur soudaine :
Une femme, qu’un gros de Pharisiens entraîne,
Tremblante, échevelée et folle de terreur,
En se couvrant le front tombe aux pieds du Sauveur.
Ses voiles, que sa main ramène sur ses charmes,
Les trahissent sans cesse et décèlent ses larmes.
C’est la femme, la femme avec tous ses appas,
La femme après la chute et vouée au trépas,
La femme avec son cœur ou soumis ou rebelle,
La femme avec ses pleurs, la femme faible et belle.
Dans son abaissement elle est charmante encor :
C’est un anneau brisé de cette chaîne d’or,
Une fleur du feston qui commence avec Ève,
Et qui, de femme en femme, avec les temps s’achève.
« Maître, dit à Jésus le chef des Pharisiens,
» Qu’encourageaient tout bas les grands et les anciens,
» Tu connais l’Écriture, et tu sais que Moïse
» A dit : En adultère une femme surprise
» Périra lapidée. Or, celle que tu vois,
» Du saint législateur a transgressé les lois ;
» Parle donc ! et dis-nous ce que nous devons faire. »
Jésus négligemment écrivait sur la terre...
Il songeait en lui-même à ces faibles humains
Qui jamais du pardon n’ont suivi les chemins.
Mais pressé de nouveau par tous ces frénétiques,
Il dit, en relevant ses yeux mélancoliques,
D’un accent qui pénètre en ces cœurs desséchés :
« Que celui d’entre vous qui se croit sans péchés
» Sur elle le premier ose jeter la pierre ! »
Et de nouveau son doigt erre dans la poussière...
On dit, et je le crois, que ce qu’il écrivait
En signes éclatants sur le sol se gravait :
C’étaient les mots sacrés d’amour et d’indulgence.
Les Pharisiens confus regardaient en silence ;
Tour-à-tour, et baissant un front triste et honteux,
Depuis les plus anciens jusqu’aux derniers d’entre eux,
Ils s’éloignent. La foule imite leur exemple,
Et Jésus reste seul sur les degrés du temple ;
La femme était toujours à genoux devant lui...
Jamais de plus d’éclat repentir n’avait lui...
Elle penchait son front comme une fleur fanée.
« Nul, lui dit l’Homme-Dieu, ne t’a-t-il condamnée ? –
» – Nul, dit-elle, Seigneur ! – C’est bien, répond Jésus,
» Alors relève-toi, femme, et ne pèche plus ! »
Barthélemy CHAIZE, Jésus sur la terre, 1865.