La résurrection de Lazare
Sur un des verts penchants du saint mont des Olives
Est un hameau qui dort parmi des sources vives.
À voir ce bourg assis au milieu des roseaux,
On dirait le nid frais des fauvettes des eaux.
Il cache sous les fleurs ses terrasses légères ;
Mais ainsi qu’au printemps on voit les primevères
Poindre modestement sous les derniers frimas,
Attirant des regards qu’elles ne cherchent pas,
Ainsi de ce village on voit les maisons blanches
Montrer dans le lointain leurs toits parmi les branches.
C’est Béthanie... Alors ce bourg aimé des cieux 1,
Ce hameau parfumé, vert et silencieux,
Au saint jour où chacun et prie et se repose,
Voyait dans la saison qui fait fleurir la rose
Des filles de Sion le gracieux essaim
Venir chercher la paix et l’ombre dans son sein.
Le Christ, s’il n’avait pas où reposer sa tête,
Trouvait à Béthanie une sûre retraite :
La maison de Lazare à ses souhaits s’ouvrait,
Marthe servait Jésus, et Marie écoutait.
Heureux temps !... Tout-à-coup dans la fraîche bourgade
Il n’est plus de bonheur, car Lazare est malade,
Lazare, le disciple et l’ami de Jésus !...
Ses sœurs, Marthe et Marie, en soupirs superflus,
Ne perdent point de temps, et pleines d’espérance,
Pleines de foi surtout dans sa toute-puissance,
Vers celui qui les aime elles envoient soudain...
Jésus était alors au-delà du Jourdain ;
Mais il semble qu’en vain l’amitié le rappelle ;
Il reçoit sans regrets cette triste nouvelle ;
Pendant deux jours encore il reste au même lieu,
Disant : « Tout s’accomplit à la gloire de Dieu ! »
Son esprit paraissait ému d’une autre idée.
Enfin, il dit aux siens : « Retournons en Judée !
» Je vais le réveiller, puisque Lazare dort. »
Et puis ouvertement il leur dit : « Il est mort !
» Mais pour l’amour de vous j’en ressens de la joie ;
» Car sa mort est venue afin que chacun croie. »
Or, lorsque le Sauveur marchait vers le hameau,
Lazare était depuis quatre jours au tombeau ;
Et de tous ses amis la foule désolée
Mouillait de pleurs brûlants le triste mausolée.
Les deux sœurs, apprenant l’approche du Sauveur,
Volent à sa rencontre et lui disent : « Seigneur,
» Que n’êtes-vous venu ? Lazare notre frère
» En ce moment, hélas ! ne serait pas en terre ! –
» Il ressuscitera ! leur répondit Jésus. –
» Au dernier jour, dit Marthe, avec tous vos élus. –
» À croire fermement, Marthe, je vous convie :
» Quiconque croit, verra ; c’est moi qui suis la vie ! »
Marie aux pieds du Christ était près de sa sœur ;
On lisait sur son front une tendre douleur
Qui semblait à ses traits donner de nouveaux charmes.
Jésus à cet aspect laisse couler ses larmes ;
Il frémit en lui-même... et va vers le tombeau.
Une fétide odeur s’exhalait du caveau
Dont la lampe déjà n’avait plus de lumière...
À l’ordre de Jésus on soulève la pierre...
La foule avec respect se tenait sur le seuil...
Lazare était gisant lié dans son cercueil !
Alors levant les yeux, le Seigneur dit : « Mon père,
» Merci, vous avez fait ce que ce peuple espère !
» Pour moi, je le sais bien, vous m’exaucez toujours ;
» Mais si j’ai demandé votre puissant secours,
» Si je viens à la tombe arracher sa victime,
» C’est pour donner au peuple un spectacle sublime,
» Et pour hâter le jour de sa croyance en moi :
» Écarte ton linceul, Lazare, lève-toi ! »
Lazare, abandonnant sa couche funéraire,
Se dresse en secouant un humide suaire !
On le délie... il marche... et rempli de stupeur,
Il va tomber priant aux genoux du Sauveur !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le miracle éclatant vole de bouche en bouche
Et va troubler Caïphe en sa splendide couche ;
Ce pontife aussitôt appelle les anciens
Qu’il assemble en conseil avec les Pharisiens ;
Par un arrêt de Dieu sa lèvre est inspirée,
Et la mort du Sauveur résolue et jurée.
Victime destinée au plus sublime autel,
Jésus pendant ce temps était près de Béthel 2
Puisant dans la retraite une force inconnue,
Car ses jours sont comptés et son heure est venue.
Alors le Fils de Dieu, l’enfant de Bethléhem,
L’holocauste divin marche à Jérusalem,
Jérusalem qui tue, a-t-il dit, les prophètes,
Et qui dans ce moment se prépare à des fêtes.
Des fêtes ! Ô Sion, homicide cité,
Pleure, pleure plutôt sur ta perversité !
Profite si tu peux des instants qui te restent
Et reconnais le Dieu que tant de faits attestent.
N’entends-tu pas ce bruit qui vient de Jéricho ?
Des miracles récents c’est encore un écho...
Revêts-toi d’un cilice et couvre-toi de cendre...
Pleure, pleure, te dis-je, et puisse Dieu t’entendre !
Barthélemy CHAIZE, Jésus sur la terre, 1865.
1 Béthanie est éloignée de Jérusalem d’une demi-lieue. Sa situation est au levant de cette ville. Jésus-Christ a illustré ce bourg par les visites fréquentes qu’il a rendues à Lazare et à ses sœurs. Marthe lui préparait à manger avec beaucoup d’empressement et de zèle, et Marie versa sur sa tête un vase rempli de parfums précieux. On montre encore aujourd’hui les ruines du château où l’Homme-Dieu a logé, ainsi que le tombeau de Lazare : c’est une grotte souterraine.
Au milieu du chemin de Jérusalem à Béthanie est le lieu où l’on croit qu’était le figuier qui fut maudit par Jésus-Christ, parce qu’il n’y trouva que des feuilles, insinuant par là qu’il traiterait avec la même rigueur ceux qui se contenteraient de rapporter des choses temporelles au lieu des fruits mûrs pour l’éternité.
2 Béthel, de la tribu de Benjamin, au levant de Sichem ; elle se nommait Lusa. Ce fut Jacob qui lui changea ce nom en celui de Béthel à la suite d’une vision qu’il eut en ce lieu. Lorsqu’il fuyait la colère d’Ésaü, Jacob versa de l’huile sur la pierre qui lui avait servi d’oreiller et la voua au Seigneur, promettant d’en faire un autel à son retour, ce qu’il exécuta après avoir enseveli sous un térébinthe les idoles que ses gens avaient apportées de Mésopotamie.
Ce fut en ce lieu que les démêlés survenus entre les bergers d’Abraham et ceux de Loth obligèrent ces deux hommes à se séparer.
Cette ville fut aussi longtemps le siège de l’idolâtrie, et elle était encore plongée dans ses ténèbres au temps d’Élisée : ce prophète y fut insulté par deux enfants et vengé par deux ours qui les déchirèrent.