Dernier jour
Le Destin, poursuivant sa course vagabonde,
Lance au hasard sa faulx qui me courbe à mon tour.
Je voudrais vivre encor, car ma coupe, en ce monde,
Déborda moins de fiel que de perles d’amour.
Faut-il me repentir ? Faut-il que je m’accuse
D’avoir livré mon âme aux chocs tumultueux ?
Plus vite bat le cœur, plus son rouage s’use,
Et j’ai brisé du mien l’essor impétueux.
Dans mon âme qui fuit, que tout se rassérène :
Si j’ai beaucoup aimé, je n’ai point de remords ;
Cependant, sur le seuil d’une vie incertaine,
Je tremble, car je sais que Dieu juge les morts.
Adieu, rêves chéris, adieu, douces années
Qui fîtes resplendir la folle illusion !
Déjà sur mon chemin les fleurs se sont fanées :
Je n’ai plus à cueillir que la déception.
Seigneur, vous qui saviez, en m’imposant une âme,
Que sa vive étincelle allait me consumer,
Soyez, soyez clément ! Donnez-moi votre flamme,
Et rendez mes yeux purs avant de les fermer !
Adèle CHALENDARD.
Paru dans L’Année des poètes en 1890.