Aux inspirés malsains
Siècle ! sur ton déclin, si tu roules l’écume
De poètes jongleurs, d’écrivains frelatés,
S’ils frappent à grands coups sur leur fétide enclume,
S’ils bavent le poison sur l’acier de leur plume,
D’autres à leurs clameurs répondent, révoltés.
Et ceux-là, vaillamment, purifiant les masses,
Exaltant l’idéal, la famille et l’amour,
Dans les cœurs dévastés trouvent encor les traces
De rayons obscurcis, de racines tenaces
Qu’une infernale main fit disparaître un jour.
Mutilez la vertu, profanez l’innocence,
Déclassés dérobant vos sceptiques regards :
Malgré vous, ici-bas, fleurira la croyance,
Malgré vous régnera la suprême éloquence
Stigmatisant d’horreur vos louches étendards.
Malgré vous, bien des cœurs, en une exquise ivresse,
Battent à l’unisson au choc d’un frais baiser ;
La famille est le nid de la saine allégresse,
Et le foyer triomphe, à l’heure enchanteresse
Où le frêle berceau vient l’idéaliser.
Niez donc l’idéal, buvez à l’onde amère
Vous qui foulez la tige où resplendit la fleur ;
Mais laissez-nous voler vers l’ardente chimère,
Laissez rire l’enfant, laissez rêver la mère,
Car leur divine coupe a Dieu pour ciseleur !
Laissez aux cœurs vibrants l’espoir qui les fait vivre !
Si la haine vous ronge, ah ! laissez-les bénir !
Laissez-les de l’amour feuilleter le beau livre,
Et si de la grandeur le souffle les enivre,
Sur leurs lèvres, pourquoi voulez-vous le bannir ?
Ils creusent l’infini... Qu’importent les blessures
Faites à leurs drapeaux déployés fièrement ?
Si vous les trahissez, nobles sont leurs tortures,
Et le sang de leur cœur lave vos impostures ;
Leur pardon vous punit de votre abaissement.
Rêveurs ! illuminez le champ des belles causes !
Jeunesse, élance-toi vers le fier idéal !
Cœurs virils, dites-nous vos songes grandioses,
Défendez la splendeur de vos apothéoses,
Bercez le rêve ailé dans un char triomphal !
Adèle CHALENDARD.
Paru dans L’Année des poètes en 1891.