Prédiction
Poète ! dresse-toi, souris à l’espérance !
Les éclairs du génie ont sillonné ton front !
La Muse, ivre d’extase, à ton appel s’élance,
Et son baiser divin te souffle l’éloquence
Dont le torrent déborde en ton rythme fécond.
Ils ont dit, les bâtards des phalanges lettrées :
« À l’assaut ! subjuguons les cerveaux vermoulus,
« Replongeons, dans le fiel, nos flèches acérées,
« Déposons nos levains dans les âmes tarées ;
« À nous les houles d’or, roulant pour les déchus ! »
D’autres – les novateurs – pompeusement étalent
Des mots vides de sens, rangés en bataillons.
Ceux-ci hachent les sons, les sifflent, les ravalent ;
Ceux-là, nains odieux, s’agitent, et cabalent
Pour cribler de boulets les plus fiers pavillons.
Mais l’aigle sur l’autour jette un regard limpide :
Qu’importe au roc géant l’écume de la mer ?
Le soleil s’affranchit de l’ombre qui le ride ;
Le cèdre, après le choc de l’ouragan rapide,
Redresse, audacieux, ses panaches dans l’air.
Toi, poète, en avant ! fais face à la tempête !
Gravis l’inaccessible, et tu verras demain
Un bel astre immortel flamboyer sur ta tête.
Ce siècle va s’éteindre, et le nouveau s’apprête
À joncher de lauriers ton glorieux chemin.
Sais-tu pourquoi mon souffle aspire au grandiose ?
Sais-tu pourquoi ma voix te prédit l’avenir ?
Sais-tu pourquoi, déjà, ton aube m’en impose,
Et pourquoi je subis une métamorphose
Quand tes échos vibrants bercent mon souvenir ?
C’est que, dans ses essors, ton aile impétueuse
Cingle les esprits fiers comme un coup d’éperon ;
C’est que tu fais rêver quand ta note est rêveuse ;
C’est que tu tords les cœurs quand elle est douloureuse ;
C’est que tu fais bondir quand sonne ton clairon !
Pour embraser la poudre il faut une étincelle,
Pour enflammer les cœurs il faut être enflammé !
Pour incruster son nom dans la page immortelle
Il faut de l’infini saturer sa prunelle,
Et par le feu divin se sentir consumé...
Palpite éperdument et chante avec audace,
Poète ! et que l’amour exalte tes transports !
Les éclairs de ton âme ont dénoncé ta race...
Va donc ! – Ennoblis l’art, et traîne sur ta trace
Les cœurs transfigurés par tes puissants accords !
Adèle CHALENDARD.
Paru dans L’Année des poètes en 1891.