L’aïeule

 

 

Tous les hôtes joyeux sont partis, et l’aïeule,

Errant d’un pas distrait dans le logis désert,

Se trouve tout à coup bien étrangement seule

En ces lieux désolés, si pleins de vie hier.

 

Car il lui semble encor, derrière chaque porte,

Entendre un pas d’enfant ou quelque cri joyeux ;

Mais ce n’est que le vent qui, sombre et triste, emporte

Les derniers souvenirs de ces jours radieux.

 

D’une chambre dans l’autre elle passe incertaine,

Ne s’expliquant pas bien ce qu’elle cherche ainsi

Et ne s’avouant pas, elle toujours sereine,

Que son œil fatigué s’est de pleurs obscurci.

 

Chaque endroit, chaque salle, et chaque meuble même

À son cœur désolé rappelle un souvenir ;

C’est là que les petits lui disaient : Je vous aime,

Et que tout proche d’elle ils cherchaient à venir.

 

C’est là, vers cette table, auprès de la fenêtre,

Que le cadet mignon aimait à s’établir,

Avec tous ses soldats qu’il commandait en maître,

Prenant sa grosse voix pour se faire obéir.

 

C’est là, sur ce vieux banc, dans les belles soirées,

Que, fatigués du jour, tous arrivaient s’asseoir ;

Et le bruit des chansons, les ris, les voix nacrées

S’élevaient lentement dans le calme du soir.

 

Et toute au temps vécu, la grand’mère s’arrête ;

Les derniers feux du jour lui font, étincelants,

Une auréole d’or qui glisse sur sa tête

Et baise avec amour ses nobles cheveux blancs.

 

 

13 septembre 1880.

 

 

 

Alice de CHAMBRIER,

Au-delà, La Baconnière, 1934.

 

 

 

 

 

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