La comète

 

 

Comme un oiseau de flamme aux gigantesques ailes

Qui, venu du nadir s’en retourne au zénith,

La comète poursuit ses courses éternelles,

Certaine de sa route à travers l’infini.

 

Rien ne peut l’arrêter, ni les groupes de mondes

Qu’elle effleure en passant de sa traîne aux plis d’or,

Ni les longues horreurs des ténèbres profondes

Où le céleste plan dirige son essor.

 

Elle ira jusqu’au point désigné dans l’espace,

Illuminant soudain les inconnus glacés,

Poursuivant son chemin comme un éclair qui passe,

Jusqu’au moment où Dieu lui dira : « C’est assez ! »

 

Lui seul la voit encor, parmi ces lointains mornes,

Vers le but qu’il choisit arriver lentement,

Et s’arrêter enfin aux invisibles bornes

Que pour elle il plaça dans le noir firmament.

 

Mais, arrivée au point où, triste et languissante,

Dans la nuit elle va disparaître sans bruit,

Un invisible attrait, une force puissante,

Lui fait abandonner la route qu’elle suit.

 

Et vers la profondeur indescriptible et terne,

Vers les lieux qu’elle a fuis dans son cours orgueilleux,

La comète soudain se retourne, et discerne

Une étoile pâlie à l’autre fond des cieux.

 

Cette étoile lointaine en l’immensité noire,

C’est l’astre de la vie et du joyeux réveil,

C’est l’astre environné de beautés et de gloire,

Qui porte la santé dans ses feux : le soleil.

 

Il attire vainqueur la comète éperdue,

À l’heure où celle-ci s’engouffrait dans la nuit ;

Il lui rend ses clartés et sa force perdue,

Et, joyeuse et superbe, elle revient à lui.

 

C’est ainsi que parfois l’âme humaine s’égare,

Astre fait de lumière et de souffle divin,

Loin de son Créateur dont elle se sépare

Pour rechercher le mot du grand problème humain.

 

Seule, elle veut aller jusqu’au bout des sciences ;

Prise au perfide attrait d’un rêve ambitieux,

Elle veut découvrir en ses tristes démences

Le pourquoi de la terre et le pourquoi des cieux.

 

Elle va, jusqu’au jour où, lassée, abattue,

Elle ne trouve plus que tristesse et néant,

Où, prise d’un dégoût qui l’accable et la tue,

Elle s’arrête au seuil de l’abîme béant.

 

Mais si loin qu’elle fuie, égarée en cette ombre,

Il n’est jamais trop tard pour espérer encor ;

Dieu la voit avancer sur cette route sombre,

Il la voit s’engloutir lentement dans la mort.

 

Et, faisant tout à coup luire un rayon étrange

Dans la sinistre horreur de cette obscurité,

Il peut, lorsqu’il lui plaît, donner des ailes d’ange

À l’âme que son œil suit dans l’immensité.

 

Et comme, distinguant la lumineuse gerbe,

La comète retourne au grand astre de feu,

Dans un essor puissant, magnifique et superbe,

L’âme, prenant son vol, s’en revient à son Dieu.

 

 

Bevaix, 31 août 1881.

 

 

 

Alice de CHAMBRIER,

Au-delà, La Baconnière, 1934.

 

 

 

 

 

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