Au poète
Ô poëte, ton âme est ouverte au grand jour
Pour recevoir d’en haut l’harmonie et l’amour.
Épanche à nos douleurs ta pitié qui déborde ;
Fais-nous trouver la force au sein de la concorde ;
Montre-nous l’idéal, que rien ne peut ternir.
Dans l’amour qu’un cœur simple et pur peut contenir ;
Verse un vin cordial à notre défaillance :
On ne conquiert jamais le bonheur sans vaillance.
Verse-nous tout l’amour de ton cœur enflammé :
Les malheureux sont ceux qui n’ont jamais aimé.
L’amour vient, ici-bas, compléter la justice ;
Sans s’avilir jamais, lui seul se rapetisse ;
Doux avec le petit, sévère avec le grand,
Charité, c’est le nom chaste et noble qu’il prend.
Poëte, à nos foyers, quand la tâche est cessée,
Hôte mélodieux, viens chanter : – ta pensée,
Ce vin fort, pour les cœurs d’eux-mêmes triomphants,
Se change en un doux lait pour les petits enfants ;
Jusqu’à leur innocence abaissant le génie,
Tu leur offres l’idée en forme d’harmonie ;
Tu viens leur épeler le mystique alphabet
De la nature, où Dieu pour eux se dérobait,
Où la plus humble fleur que sa sagesse crée
Sait accomplir sa loi pour une fin sacrée ;
Ton doux chant leur module, en charmantes leçons,
La langue des parfums, des couleurs et des sons ;
Et lorsque enfin s’éveille, à ta parole amie,
La conscience, au fond de leur être endormie,
Tu donnes à leurs cœurs naïfs et grand ouverts
Les sucs amers du vrai dans le miel d’un beau vers !
Secoue avec dégoût les passions serviles
Où nous croupissons tous, dans la bauge des villes ;
Ouvre ton aile, sors de ta sombre prison,
Pour planer, libre et fier, sur l’immense horizon.
Lorsque l’on est allé jusqu’au monde des causes
Pénétrer la raison immuable des choses,
On est plus indulgent pour ces pauvres humains
Marchant au même but par différents chemins.
Poëte, à ces hauteurs divines où tu planes,
Où l’on ne connaît pas nos passions profanes,
Ravi dans une longue extase, et souriant,
Contemple la Justice, éternel orient !
La muse du vrai beau, t’ouvrant ses larges voies,
Te fera tressaillir de ses plus saintes joies ;
Sur ton front pâle et noble, alors la vérité
Descendra, radieuse, asseoir sa majesté.
L’homme, de ses douleurs portant la servitude,
Ne voit dans le bonheur d’ici-bas qu’un prélude :
Ses amours sont bornés ; son amour, éternel ;
Mortel, son âme attend un destin immortel.
L’espoir de ce bonheur infini qui s’élève
Des profondeurs du moi, ce n’est pas un vain rêve :
C’est un regard serein jeté dans l’avenir
Sur ce dernier royaume où rien ne doit finir.
Julien CHAMARD.
Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi
par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,
professeur à l’Université de Liège, 1874.