Sur une page de l’« Imitation »
Cella continuata dulcescit....
La cellule est douce si l’on continue
à y demeurer
(Imit., I, XX).
Quand on revient sur ses années,
Quand on compte ses cheveux blancs,
Et qu’on remonte à pas tremblants
Le noir chemin des destinées,
Combien trouve-t-on d’heureux jours
Sur cette route monotone
Où déjà la neige d’automne
Tombe du ciel voilé des lointaines amours ?...
Faible et changeante créature,
Qui pleures ton ciel obscurci,
Endors ta peine et ton souci
Dans le recueillement de la bonne nature.
La nature ne trompe pas
L’homme ingénu qui croit en elle ;
Poursuis en paix, âme fidèle,
L’obscur voyage d’ici-bas.
Chacun ici-bas a sa tâche
Et doit obéir à sa loi ;
Fais ton devoir, garde ta foi :
L’enfreindre est d’un coupable et la trahir d’un lâche.
Ranime ton cœur abattu
Avec l’immortelle espérance,
Et bénis même la souffrance
Qui double ton effort et trempe ta vertu.
Laisse rire les hypocrites ;
Crois au bien, adore le beau,
Et révère jusqu’au tombeau
Les lettres de salut dans ta mémoire inscrites.
Si, las des hommes, las du bruit,
Tu te désespères de vivre,
Que la lumière du saint livre
Soit une étoile dans ta nuit.
Chasse les amères pensées ;
Laisse emporter au vent du soir
Ta fatigue et ton désespoir
Comme des feuilles dispersées ;
Et, comme un rayon du matin
Qui sourit aux blanches collines,
Vois, là-haut, des clartés divines
Guider ta vue errante et ton pas incertain.
Vis sans colère et sans envie ;
Que le mensonge et que l’orgueil
Ne franchissent jamais ton seuil
Pour avilir ton âme ou pour enfler ta vie.
La cellule qu’on garde bien
Devient douce à celui qui l’aime.
Droit et simple, habite en toi-même
Et compte le reste pour rien.
Henri CHANTAVOINE.
Paru dans L’Année des poètes en 1890.