Mon petit atelier

 

 

IL est dans mon humble demeure

Un lieu que j’aime, un coin charmant,

Où le cœur m’entraîne à toute heure,

Où chaque heure n’a qu’un moment.

 

Son seuil obscur, en apparence

Sombre rendez-vous de l’ennui,

Voit souvent, pleins d’indifférence,

Mes amis passer devant lui.

 

Rien de brillant dans son enceinte,

On dirait le séjour du deuil ;

D’un vieux blason la noble empreinte

N’y trône point avec orgueil.

 

Atelier, que mon cœur adore,

Asile où je me sens heureux,

Le fer dont le travail s’honore

Seul embellit ton sein poudreux.

 

En désordre, sur tes murailles,

Brillent pour moi plus beaux que l’or,

Vrilles, ciseaux, rabots, tenailles,

Et d’autres instruments encor.

 

Dans ce réduit, dont je me vante,

 Qui ne mesure que six pas,

Je sens mon âme plus vivante

Entre la scie et le compas.

 

Là mon travail en paix s’achève,

Loin de tout regard indiscret :

J’y vois souvent passer en rêve

L’humble atelier de Nazareth.

 

Là de Jésus la main divine

Trouve en Joseph un guide aimé :

Le pouvoir infini s’incline

Devant le bras qu’il a formé.

 

Oui, la main qui forma les mondes,

Et de soleils peupla les cieux,

Et qui creusa des mers profondes

Les abîmes mystérieux ;

 

La main d’où jaillit la lumière,

Qui tressa la robe du lis,

Et couvrit, brillante poussière,

L’insecte d’or et de rubis ;

 

Qui du chêne au flanc des montagnes

Suspendit les rameaux flottants,

Et de fleurs pare nos campagnes

Au réveil de chaque printemps ;

 

Oui, la main qui fit ces merveilles,

Qu’adorent les cieux prosternés,

À nos labeurs, à nos veilles

Voit ici ses jours condamnés.

 

Et mon âme se sent plus fière

De l’humble travail de mes mains,

Quand un Dieu, de ses doigts divins

Du travail m’ouvre la carrière.

 

Et dans ce coin de ma maison

Où tout me convie à la joie

Jamais épine sur ma voie,

Jamais ombre à mon horizon.

 

De l’aube la faible lumière

Souvent me guide en ce séjour ;

Mon obscur labeur, tout le jour,

Y poursuit gaîment sa carrière.

 

Et le soir, quand avec la nuit,

Tout s’endort, seul, et porte close,

C’est encor dans ce cher réduit

Qu’en travaillant... je me repose.

 

 

 

Abbé CHARVOZ.

 

Recueilli dans Le Parnasse contemporain savoyard,

publié par Charles Buet, 1889.

 

 

 

 

 

 

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