Deux petits lits

 

 

Il y a maintenant deux petits lits dans cette chambre.

Et je n’y entre la nuit que sur la pointe de mes pieds nus.

Là sur cet oreiller frisent de petites bouches couleur d’ambre,

Et là les cheveux sont de soie plate, et blonde comme du miel de l’autre année et comme des fétus.

Deux petites têtes pesantes, et deux souffles légers au milieu du silence,

Sur les joues la frange sombre des cils au bord des paupières refermées,

Les nez attendrissants, les douces bouches mouvantes, et tout cet air d’innocence,

Et l’immobilité inattendue de ces formes toujours agiles et animées.

 

J’allume tout doucement et je regarde dormir « le fruit de mes entrailles »

Je me penche avec précaution sur les petits lits qui renferment mes plus beaux trésors.

Comme la nuit est calme et comme ils dorment bien sur leur matelas de balle et de paille,

Avec leurs petits bras relevés au-dessus de leurs têtes d’or !

 

Ô Mamans qui connaissez comme moi cette joie maternelle,

Est-ce que vous ne trouvez pas aussi que c’est la plus grande douceur que de les regarder dormir,

Plus que les petits bras autour de notre cou, plus que ces lèvres mouillées contre notre joue, qui effleurent comme une aile,

Plus encore que leurs petits mots tendres, et tout ce que les mères conservent dans leur souvenir ?...

 

Ô Mamans, ils dorment avec tant d’abandon, tant de confiance,

Ils dorment comme si jamais rien ne pouvait leur arriver.

Ils ne seront pas toujours petits, et tout dépendants de notre vigilance

Et nous n’en avons pas pour bien longtemps à pouvoir ainsi les couver.

 

Ils dorment, et je vais de l’un à l’autre, remontant doucement les couvertures,

Et je bois du regard ces chers petites visages que Dieu m’a donnés.

Ô Mamans, qu’est-ce que nous pourrions demander de mieux comme aventures

Que d’épier la vie qui sourd de ces petites destinées ?

 

Ô mon Dieu, je ne vous demanderai jamais de plus grandes délices

Que celles que j’ai connues, des soirs, des nuits, penchée sur des berceaux habités,

En regardant de longs cils noirs se recourber sur de petites joues lisses,

Et de vagues sourires se jouer sur des bouches édentées.

 

Il y a maintenant deux petits lits dans cette chambre,

Dans cette chambre où j’ai failli mourir et d’où ces deux propriétaires m’ont chassée.

Je vous les confie, ô mon Dieu, de l’hiver à l’automne, de janvier à décembre,

Au long de ces nuits sans sommeil où montent vers Vous mes reconnaissantes pensées.

 

 

 

Henriette CHARASSON,

Deux petits hommes et leur mère.

 

Recueilli dans Poèmes du foyer,

rassemblés et présentés par H.-Ch. Chéry,

Éditions du Feu nouveau, 1949.

 

 

 

 

 

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