Une miraculeuse lune
Une miraculeuse lune d’or blanc se tient au centre d’un grand ciel de perle grise,
Une lumière d’argent verdi, si douce qu’on dirait qu’une soie blanche la tamise,
Éclaire le monde endormi.
Les longs arbres qui rayent de traînées noires la prairie argentée
Ne bougent plus et, dans le silence épars, il semble qu’une fée
Les tient sous un charme ami.
Ô fraîche et calme et douce nuit baignée de lumineux mystère,
Sommes-nous toujours des hommes asservis à la lourde terre,
Vais-je pas ce soir monter,
Voletant d’arbre en arbre au-dessus des prés glacés de lumière,
Planant sur les sombres eaux tachées de mousse et méprisant les ornières,
Reine d’un monde enchanté ?
Mais c’est en cette nuit trop belle que se prépare sur Irun la terrible canonnade
Et pendant qu’à ta fenêtre tu te chantes pour toi-même poétique sérénade,
Tes frères, captifs fourbus,
Liés à des arbres dans les rues vont des heures attendre
(Tandis qu’au matin de France résonneront les angélus tendres)
Le noir répons des obus !
Debout contre les troncs des arbres ou les fûts des réverbères,
Sans un peu d’eau pour rafraîchir leur bouche, sans un mot d’amour qui les désaltère,
Seuls dans la nuit blanche, seuls
Sans parents, sans amis, sans un prêtre pour les aider à franchir la grande coupure,
Ils attendent sous les froids rayons cette dernière aventure
Qui n’aura pas de linceul !
– Secourez, dit la prière du soir, les pauvres, les prisonniers, les voyageurs et les malades,
Et ceux qui sont en agonie dans leurs draps mouillés de sueur fade
Et dont est fixé le sort.
Mais, Seigneur, secourez surtout les âmes qui cette nuit redoutent l’unique visiteuse,
Ayez pitié des prisonniers attachés dans Irun ce soir sous la clarté laiteuse
Et qui attendent la mort !
Henriette CHARASSON,
Sur la plus haute branche.
Paru dans la revue Le Noël
en mai 1938.