Prière

 

 

 

Mon Dieu, vous devez être si différent de ce que peut imaginer ma courte intelligence humaine

Que je me demande comment nous osons Vous prier sans en même temps rire de nos débats.

S’il n’y avait pas tant de larmes suspendues depuis des siècles comme des perles au bout de chaque mot de nos prières,

Nous n’oserions les répéter ainsi, comme des mécaniques, avec cette hardie certitude de leur résultat.

 

Mon Dieu, il est onze heures du soir, je suis seule en ma chambre et le silence est tel que mes oreilles en bourdonnent,

Comme si notre faiblesse ne nous permettait pas de réaliser tout à fait ce que c’est que la véritable absence de bruit.

Et je songe à cet autre grand silence où il faudra bien qu’une fois je pénètre,

Et je serai seule alors, seule pour de bon dans la vraie solitude de la mort.

 

Souvent, nous nous plaignons d’être seuls parce que jamais l’homme ne peut, tout à fait, comprendre l’homme,

Mais nous avons, pour nous entendre et nous toucher et nous aider, des hommes de tous les côtés.

Une heure viendra où il n’y aura plus d’époux, plus de parents, plus d’amies à qui s’accrocher et se suspendre,

Car nul jamais n’est entré à deux dans ce noir couloir d’où Lazare, lui, est ressorti.

C’est l’étroite ouverture où chaque âme titube seule en déposant ses bagages,

Et, ceux de la terre n’ont jamais rien su de ce qui se passe au-delà, quand le lourd battant de la porte est retombé.

 

Et tous enjambent le seuil, et, chacun pour soi, dans l’égoïsme tragique et grandiose

Du mort solitaire et troublé qui ne peut plus compter dans ces ténèbres que sur son effort morose.

 

Mon Dieu, quand je me regarde, je me vois si loin de ce que vous devez être

Que je ne me sens plus, tristement, que la caricature de votre reflet.

Et c’est comme si j’allais mourir de peur à l’idée que je devrai m’en aller comme les autres êtres

Dans le couloir obscur au bout duquel il faudra pourtant bien vous rencontrer...

Divine Nécessité qui nous dépassez autant que le ciel surplombe la terre,

Votre splendeur humilie et terrifie ma misère !

 

 

Henriette CHARASSON.

 

Paru dans Les Causeries en 1928.

 

 

 

 

 

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