Le sommeil et la mort

 

 

Lorsqu’après son labeur le corps se sent faiblir

Et qu’enfin, étendu sur sa couche, il repose,

La pensée, il est vrai, sous la paupière close,

Semble, avec le regard éteint, s’ensevelir ;

Mais non : indépendant de l’inerte matière,

Notre esprit peut planer sur la nature entière,

S’agiter en tous sens ou bien se recueillir.

 

Puis, quand, vaincu par l’âge ou par la maladie,

Le corps n’offre au toucher qu’une chair refroidie,

C’est le dernier sommeil, le sommeil de la mort ;

L’homme n’est plus, – mais, loin de partager son sort,

L’esprit laisse au linceul sa dépouille grossière,

Et, libre désormais, inondé de lumière,

Vers l’astre où Dieu le mène, il monte sans effort.

 

Si, le scalpel en main, on cherche en vain la trace

De l’immortalité ; si, redoublant d’audace,

Le méchant, enrichi des dépouilles d’autrui,

Se rassure en pensant que tout meurt avec lui,

Moi, je sais que mon corps doit se réduire en poudre,

Mais, je le sens, jamais rien ne saurait dissoudre

Ce qui fait que je pense et que j’aime aujourd’hui !

 

 

 

Gustave CHATENET.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1891.

 

 

 

 

 

 

 

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