La patiente Grisélidis
Parmi ces pauvres gens vivait un homme
Que l’on tenait pour le plus pauvre de tous ;
Mais Dieu tout puissant parfois peut envoyer
Sa grâce en une petite étable à bœufs.
Les habitants de ce village l’appelaient Janicule.
Il avait une fille à souhait belle à voir
Et Grisélidis était le nom de cette jeune pucelle.
Mais si l’on parle de la beauté de ses vertus,
Alors elle était l’une des plus belles sous le ciel ;
Car elle avait été élevée pauvrement,
Nul sensuel désir n’avait traversé son cœur ;
C’est bien plus souvent à la fontaine qu’au tonneau
Qu’elle buvait, et parce qu’elle voulait satisfaire la vertu,
Connaissait bien la peine et non l’oisive plaisance.
Mais encore que cette pucelle fût d’âge tendre,
Cependant le sein de sa virginité
Recélait mûr et tranquille courage ;
Et en grande révérence et charité
Prenait soin de son vieil et pauvre père ;
Elle gardait en filant quelques moutons au champ,
Et onc ne s’accordait oisiveté jusqu’à ce qu’elle s’endormît.
Et quand elle regagnait la chaumière, rapportait
Des racines et d’autres herbes souventes fois,
Qu’elle hachait et bouillait pour leur subsistance,
Et se faisait un lit fort dur, sans rien de doux vraiment ;
Et toujours de son père au bien-aise veillait
Avec tous les égards et les attentions
Qu’enfant peut avoir pour honorer un père.
Geoffrey CHAUCER.
Traduit par Victor Thaubois.
Recueilli dans La poésie anglaise,
par Georges-Albert Astre,
Seghers, 1964.