L’envoi à ma cousine
Jadis, dans ma première enfance,
J’avais une petite sœur :
C’est toujours elle à qui je pense
Devant ton charme et ta douceur.
Pourtant je ne l’ai point connue ;
Elle est morte presque en naissant ;
Dans quel but est-elle venue
Que son rappel fût si pressant ?
Par quel fécond et saint mystère,
Qui fit pleurer bien des chers yeux,
A-t-elle ainsi quitté la terre,
Sans même avoir quitté les cieux ?
Leur fallait-il encore un ange
Qui remplaçât un réprouvé ?
N’était-ce pas plutôt l’échange
Doux et charmant que j’ai rêvé ?
Car j’ai rêvé que sa jeune âme,
Par je ne sais trop quels accords,
Souffle embaumé, divin cinname,
A pris la forme de ton corps.
Voilà pourquoi, frêle cousine,
Qui serais presque mon enfant,
Si quelque danger m’avoisine,
Ton souvenir pur me défend ;
De là vient cette ressemblance
Dont parfois, tous deux, nous parlons ;
Voilà pourquoi, dans ton silence,
Les jours, à moi, me semblent longs,
Et pourquoi j’ai fait, dans ce livre,
Deux parts comme en notre amitié :
L’une est à toi, je te la livre,
Je livre à Dieu l’autre moitié.
Louis de CHAUVIGNY.
Paru dans L’Année des poètes en 1890.