L’immortelle

 

 

Qui vive ? C’est la France ancienne avec sa gloire,

Ses barons casqués d’or et ses preux chevaliers,

Qui du Nord au Midi, du Rhin jusqu’à la Loire,

Chevauchant par les bois, les vaux ou les halliers

 

La lance au poing, l’amour au cœur, la foi dans l’âme,

S’en vont allègrement guerroyer en tout lieu,

Sans reproche et sans peur, sitôt que les réclame

Ou l’appel de leur chef ou la croix de leur Dieu.

 

C’est Charles : À Poitiers grande fut sa victoire,

Et son bras, qui frappait en ce jour immortel,

À pesé d’un tel poids que l’héroïque histoire

Pour le symboliser l’a nommé Le Martel.

 

Voici Pépin, son fils glorieux, son élève :

Le Lombard est félon, le Pape est plein d’effroi ;

Le duc des Francs accourt et du bout de son glaive

Il taille au blanc Pontife un manteau bleu de roi.

 

Le Maure au long burnous est le maître en Espagne,

Là-bas, sous un beau ciel, loin par delà les monts :

À cheval, les vaillants ! Disputons la campagne

Nous, les enfants du Christ, à ces fils des démons.

 

Et Charles, dont la barbe est déjà plus que grise,

À quitté Paderborn, les Saxons insoumis.

Et longuement drapé dans son manteau de Frise,

Rêve d’exterminer ces nouveaux ennemis.

 

Il a pris Saragosse et gagné des batailles ;

Sept fois il a puni le Khalife insolent.

Et son passage a fait au granit des entailles

Qui dix siècles après nous parlent de Roland.

 

Mais Dieu le veut encore, il veut plus, il destine

La France à des combats, à des labeurs sans fin,

Et le chemin poudreux qui mène en Palestine,

Voit Gauthier-sans-avoir avec ses meurt-de-faim,

 

Ces chefs, ces serviteurs honorés de l’Église,

Ce grand Pape, ou plutôt ce fier moine Hildebrand,

Urbain Deux qui peut-être avec lui rivalise,

Foulques dont l’éloquence eut un pouvoir si grand ;

 

Godefroy repoussant le sceptre qu’on lui donne,

Parce qu’il ne veut pas faire au Ciel cet affront,

Lui, le baron chrétien, de porter la couronne

Dans la ville où Jésus n’eut que l’épine au front ;

 

Louis Neuf près duquel tout roi semble descendre,

Deux fois saint dans sa force et dans son insuccès,

Mort loin de son royaume, humblement sur la cendre.

Ces noms sont immortels et ces noms sont français.

 

Qui vive ? C’est encore la France dont les fautes

N’ont point paralysé les élans généreux,

Bras forts de nos aînés, cœurs ardents, âmes hautes,

Il ne vous a manqué que d’être plus heureux.

 

Ô nobles compagnons du pur Lamoricière,

Auxquels l’inaction pesait comme un fardeau,

Pâle et beau Pimodan, qui mordis la poussière,

C’est vous les vrais vainqueurs de Castelfidardo !

 

Près du flot dont l’azur inspira le poète,

Brave entre les vaillants, meilleur parmi les bons,

Ce héros qui défend son rocher de Gaëte,

Est bien le nôtre encore, étant l’un des Bourbons.

 

Mais qui vive aujourd’hui ? C’est la France nouvelle,

La fille du présent et des traditions,

Dont l’esprit chaque jour plus précis se révèle

Et va changer en fait les aspirations.

 

Le penseur effrayé dit : C’est la fin d’un monde,

Tout s’écroule abattu sous le fatal niveau.

– Non, non, voici venir le souffle qui féconde,

Et le sol du pays aura son renouveau.

 

La France du travail, merveilleuse ouvrière

Et dont la main calleuse a droit à nos respects,

S’unit pour demander la force à la prière,

Et, lasse de la haine, a soif enfin de paix.

 

Tandis que des chercheurs, ouvriers de l’idée,

Attachés au filon des éternels dessins,

Font sortir la croyance antique validée

De l’accord du progrès avec les livres saints ;

 

Et de tous ces efforts, humbles en apparence,

De ce contact béni des cœurs loyaux et francs,

Il naît comme une fleur divine, une espérance,

La Pitié, la Pitié moderne des souffrants !

 

Cette France, ô Saint-Père, est la bonne, est la vraie,

Mais l’étranger souvent a passé son chemin,

Sans avoir distingué ce froment de l’ivraie,

Sans avoir vu grandir la moisson pour demain.

 

Oui, comme nous voulons refaire une patrie

Meilleure que ne fut celle de nos aïeux,

Parce que notre espoir pour la grande meurtrie

Est de la voir fidèle au pacte glorieux,

 

Parce qu’il nous souvient du bon sang dont nous sommes,

Père, nous te voulons puissant et souverain,

Roi devant tous les rois, arbitre entre les hommes

Et symbole d’amour dans ce siècle d’airain.

 

 

 

Louis de CHAUVIGNY.

 

Paru dans Le Chercheur, revue éclectique, en 1889.

 

Poésie lue par l’auteur le 7 mars 1889 devant l’Association catholique de la jeunesse française, réunie en séance spéciale pour protester contre l’usurpation du pouvoir temporel du Saint-Siège.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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