Isaïe
Tel, du front de ces rocs où reposent les nues,
Le Nil, précipitant ses vagues éperdues,
Tombe, écume, bondit, se roule à gros bouillons
Et, versant ses trésors sur les plaines fécondes,
De ses puissantes ondes
Enrichit nos sillons ;
Tel, et plutôt encore, une aigle au vol immense,
Des cimes du Liban dans l’espace s’élance,
Jusqu’au char du soleil plane en s’ouvrant les cieux ;
Et, se couvrant des jets de la flamme opulente,
Revient étincelante
De clartés et de feux ;
Tel Isaïe, armé de ses ailes de flamme,
Rapide, et plein du Dieu qui transporte son âme,
S’élève jusqu’au trône où siège l’Éternel ;
Et revient, du génie étalant les miracles,
Proclamer les oracles
Qu’il ravit dans le ciel.
« Tremble ! malheur à toi, cité profanatrice !
« Toi, qu’au culte de l’or voue un long sacrifice,
« Tyr ! ô toi qui t’assieds sur le trône des eaux,
« Et qui, fendant les mers à ton sceptre fidèles,
« Y fais voler les ailes
« De tes légers vaisseaux.
« Pareils, dans leur essor à des aigles rapides,
« Tes navires, guidés par des mains intrépides,
« Sous leurs fiers pavillons touchaient à tous les bords ;
« Et voilà que, prenant les nochers pour victimes,
« La mer, dans ses abîmes,
« Engloutit tes trésors.
« Fille de l’Océan ! au jour de ta ruine,
« Tous les peuples nombreux, que son trident domine,
« En voyant tes débris seront saisis d’effroi ;
« Tes marchands, tes soldats, tes richesses, tes flottes,
« Et tes hardis pilotes,
« Tomberont avec toi !
« Au bruit de tes clameurs, quittant soudain la rame
« Tes mille matelots, qu’en vain la mer réclame,
« De leurs vaisseaux muets descendront tout en pleurs ;
« Et revêtus de deuil, et se couvrant de cendre,
« Sur toi feront entendre
« Le cri de leurs douleurs :
« Qui fut semblable à Tyr, maintenant solitaire ?
« Sans cesse, pour nourrir tes peuples de ta terre,
« Sur l’immense Océan s’élançaient ses vaisseaux ;
« Et voilà qu’expirant avec toute sa gloire,
« Sans nom et sans mémoire.
« Elle dort sous tes eaux.
« Le pilote étranger qui visite ces plages,
« Ne reconnaissant plus tes opulents rivages,
« S’étonne, en écoutant le silence des mers :
« Et voguant, plein d’orgueil, sur tes eaux qu’il domine,
« Insulte à la ruine
« De tes vieux ports déserts. »
Ainsi chante Isaïe ; et sa voix redoutable,
Proclamant du Très-Haut l’arrêt épouvantable,
Dans un style inspiré raconte l’avenir ;
À Tyr, encor vivante, ouvre une tombe antique,
Où son chant prophétique
Sait déjà la punir.
Mais si jamais sa vive et poétique ivresse,
Dans des modes sacrés exhalant sa richesse,
A chanté sur un ton encor plus solennel,
C’est lorsque, convoquant les pouvoirs de son âme,
En traits d’or et de flamme
Il nous peint l’Éternel.
« Dieu, dit-il, de son souffle allume le tonnerre,
« Il soutient, de trois doigts, la masse de la terre ;
« Roule autour de ses flancs l’Océan spacieux ;
« Tient aux voûtes d’azur l’étoile suspendue ;
« Dans sa main étendue
« Il a pesé les cieux.
« Il voit les nations sur la terre pressées,
« Et de l’urne des temps sans relâche versées,
« Comme une goutte d’eau dans un vase d’airain ;
« Il parle : devant lui tous les peuples s’écoulent,
« Et les trônes s’écroulent
« Sous sa terrible main.
« Dans son temple égorgés, les taureaux, les génisses,
« Pour ses yeux éternels sont de vils sacrifices ;
« Il regarde en pitié tout l’encens des mortels :
« Des forêts du Liban l’inépuisable empire
« Ne peut même suffire
« Au feu de ses autels. »
Ô vous ! chantres fameux, vous qui, dans vos ouvrages,
Vous disputez le prix de ces vives images
Qui charment la pensée ou ravissent le cœur,
Montrez-nous des tableaux dont l’éclat poétique
De ce chant prophétique
Égale la vigueur !
Astre aux feux éternels, père de l’harmonie,
Vieil Homère ! je sais admirer ton génie,
Et de tes nobles chants l’éclat mélodieux ;
Soit que, comme un éclair, ton vers hardi s’élance,
Et dans l’espace immense
Suive le char des dieux ;
Soit qu’au bruit éclatant de Neptune en furie,
Le monarque infernal s’épouvante et s’écrie
Au fond du noir palais qu’entrouvre le trident ;
Soit que le dieu des mers, sans y laisser de trace,
Effleure la surface
De l’abîme grondant.
Mais combien, fils d’Amos, plus vif et plus sublime
Est le divin transport qui t’échauffe et t’anime !
Quels feux inattendus brillent dans tes portraits !
Telle, avant qu’on ait vu sa lueur homicide,
La foudre au vol rapide
Nous atteint de ses traits.
CHÊNEDOLLÉ, Études poétiques.
Recueilli dans Choix de poésies
ou Recueil de morceaux propres à orner la mémoire
et à former le cœur, 1826.