Épître aux femmes
(FRAGMENTS INÉDITS)
Les hommes font les lois,
Les femmes font les mœurs
ON vous a prodigué le blâme et la louange,
Décerné tous les noms, du Démon jusqu’à l’Ange,
Tous les titres pompeux dont vous flatte l’amour,
Tous ceux dont le dépit vous accable à son tour.
Ont-ils un côté vrai ? sont-ils nés du vertige ?
Mesdames, je vous vois sans bandeau ni prestige,
Et ces mots opposés, je le dis entre nous,
Tant divins qu’infernaux, vous les méritez tous !
Oui tous, mais dépouillés de leur sens éphémère.
On les prête à l’Amante, ils sont dus à la Mère ;
C’est Elle, ange ou démon, qui tient la clef des cœurs
Perd le monde ou le sauve en propageant les mœurs.
Les peuples sont atteints d’un mal épidémique,
Vous entendez surgir de chaque république
Un lugubre murmure en tous sens répété
Qui se résume ainsi : Le monde est infecté.
Mais quel est le poison qui coule dans ses veines ?
Quel remède apporter à ces crises soudaines
Où, frémissant de rage et de sang inondé,
Le genre humain se tord ainsi qu’un possédé ?
Hélas ! pour le soustraire à ce malaise intime,
Faudrait-il l’amputer... ou changer son régime ?
Entre ces deux avis, nos docteurs partagés,
De pallier le mal se sont en vain chargés.
Ils n’ont pas du scalpel su diriger la lame ;
Ils taillent dans le corps, la gangrène est dans l’âme.
La plaie envahissante est l’incrédulité
Qui fait, ruinant les mœurs, place à la volupté.
Le cœur humain jamais ne saurait rester vide,
En le blâmant crédule on l’a rendu cupide.
Le mal est chez l’espèce un appétit pervers,
Par qui chacun désire engloutir l’univers.
L’homme vit moins de pain que du verbe céleste,
Et cette faim canine éloquemment l’atteste.
Les vrais besoins du corps se réduisent à peu ;
Si l’âme mord à tout, c’est qu’elle a faim de Dieu.
Mères, voilà le mal et je vous en accuse,
On se crée un besoin de ce dont on abuse.
Vos fils sont entraînés par l’ardeur des plaisirs,
Une aveugle tendresse éveilla leurs désirs,
Ils n’admettent ni loi, ni culte, ni symbole :
Leur avez-vous du Christ fait goûter la parole ?
Mon fils a, direz-vous, un docte professeur.
C’est fort bien pour l’esprit, mais trop peu pour le cœur.
Sentinelle avancée en ces routes connues
La mère seule en peut garder les avenues.
On guide la pensée avec un argument,
Pour balancer l’instinct il faut un sentiment,
Pour plier au devoir leur intime tendance
Exercez sur vos fils votre douce influence.
Au fait, sur cet enfant on sait votre dessein,
Vous ne prétendez pas en faire un capucin...
Mais la Patrie attend, parlez, je vous en somme,
Du fils qui vous est né lui ferez-vous un homme ?
Quel avenir rêver pour ces frêles enfants
Gros de colifichets comme des chiens savants,
Qu’une bonne par vous soumise à leur tutelle
Porte jusqu’à dix ans sur des faix de dentelle ?
Trop longtemps vous avez sous ces brillants décors
Abruti leur esprit en étiolant leurs corps,
Étonnez-vous plus tard que la force leur manque !
Si le pimpant tribun n’est rien qu’un saltimbanque,
C’est que dès le jeune âge il eut le sens gâté,
L’esprit, par la débauche et le luxe, hébété.
De lui n’attendons pas quelque noble pensée.
Les mœurs sont au déclin, la bannière offensée,
Le peuple est affamé !... Qu’importe à notre fat !
Irait-il pour si peu provoquer un débat !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un mot sur leur compagne et voyons quelle allure
Sous les yeux maternels prend la mère future :
Un peu de verbiage et des arts d’agrément
Forment tout son savoir... La part du sentiment,
Grâce au progrès chez nous, est commise à la presse ;
Tant de romans moraux, écrits pour la jeunesse,
Lui prêchant les vertus en éveillant les sens,
De ce point puéril ont sauvé les parents.
De là ce goût des riens, ce babil insipide
Qui chasse du foyer l’époux le moins rigide...
Fille, elle aime avant tout la parure et le bal,
Et quand sa main souscrit au pacte conjugal,
Loin que son âme tremble à cette nouvelle ère
Devant les saints devoirs et d’épouse et de mère,
Elle se réjouit de l’écrin usité,
(Hochet que la sottise offre à la vanité).
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
J’ai signalé le mal, en voici le remède :
Qu’au régime divin tout le reste le cède.
L’âme est asphyxiée aux miasmes de l’or,
Dilatez sa pensée à l’air pur du Thabor :
D’elle ainsi que du corps vous êtes les nourrices.
Mères, du lait sacré versez-lui les prémices,
Veillez dès le berceau les fruits de votre hymen
Comme veillait l’archange à la porte d’Éden,
De peur que dans cette âme où coule l’onde pure
Du vieil homme chassé ne rentre la souillure.
Ce monde est bon au plus à faire des chrétiens,
Dira-t-on ? Mais quel autre a fait des citoyens ?
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Est-il une vertu dans la philosophie ?
Pour moi j’en doute fort, ou plutôt je le nie.
S’immoler au devoir sans faire le jongleur,
S’immoler, sans scrupule à de faux points d’honneur,
Font la vertu divine ou la morale humaine.
Une juive pieuse, une noble romaine
Dont l’histoire à bon droit vante la chasteté,
Me sont ici témoins de cette vérité.
Voyez sous l’œil de Dieu comme Suzanne affronte
Au saint nom du devoir le trépas et la honte ;
Qu’importe à ce grand cœur les pensers d’Israël ?
Sa vertu tend plus haut, son juge est dans le ciel.
Avec moins d’abandon procède sa rivale :
Martyre, elle s’immole à la loi conjugale ;
Mais le monde est son juge et son cœur combattu,
Pour sauver son honneur outrage la vertu.
Oui, Lucrèce, adultère, aux dépens de sa vie,
Met en flagrant délit cette philosophie
Qui veut régler le monde et se passer de Dieu.
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Pour arrêter enfin la décadence humaine,
La foi, même au physique, est l’unique hygiène,
Elle impose silence au Moi trop exigeant,
Sait modérer le riche et nourrir l’indigent ;
Sauver en lui jetant ses cordons sanitaires
La race qui périt par deux excès contraires...
Et pour fondre la foi dans le règne actuel
Je ne sais qu’un creuset, c’est le cœur maternel.
On singe l’esprit fort, mais au fond le Symbole
Qu’on apprit de sa mère est un chant qui console :
Frappant avec sa voix sur les fibres du cœur,
Comme un puissant levier il en est le moteur.
Voilà, mères, le droit... le devoir qui vous lie.
Pour résumer enfin ma trop longue homélie :
La vertu n’est qu’un mythe au monde officiel,
Les mœurs font notre force, et leur base est au ciel !
Marguerite CHEVRON.
Recueilli dans Le Parnasse contemporain savoyard,
publié par Charles Buet, 1889.