Un malheur dans la steppe
Oh non ! je ne peux boire ni bière, ni hydromel,
Ni même de l’eau :
Un malheur, dans la steppe,
Est arrivé au voiturier.
Il a eu mal à la tête,
Il a eu mal au ventre.
Le voiturier, près de son char,
Est tombé et gît par terre.
On a charrié la peste
De la très glorieuse ville d’Odessa.
Ils ont lâché leur camarade.
Malheur à lui !
Les buffles, près de son char,
Debout, restent abattus.
Et les corbeaux de la steppe
Volent vers lui.
Ô corbeaux ne becquetez pas
Le corps du voiturier !
Rassasiés, nous crèverons ensemble,
Vous et moi.
Volez plutôt, vous, mes corbeaux
Aux ailes bleutées, volez
Jusqu’à mon père, et demandez-lui
De faire dire une messe.
Qu’on fasse lire des psaumes
Pour mon âme pécheresse.
Et, à la jeune fille, dites-lui
Qu’il ne faut plus m’attendre.
Tarass CHEVTCHENKO.
Recueilli dans Anthologie de la poésie russe
du XVIIIe siècle à nos jours, par Jacques Robert
et Emmanuel Rais, Bordas, 1947.