Paroles du silence
Tais-toi ; garde caché le plus pur de ton rêve
Car les mots sont cruels et pleins de trahison.
Contemple dans ton cœur mon astre qui se lève
Comme la lune blonde, au-dessus des moissons.
Je suis le souverain des profondes retraites.
Je hais le rire amer et le doute étouffant,
Et mes bras consolants ne s’ouvrent qu’aux poètes
Qui regardent le monde avec des yeux d’enfant.
Je suis frère des bons sourires, des prunelles,
Des baisers ingénus. Lorsque les amoureux
Craignent chuchoter des choses éternelles,
Ils se taisent afin que je parle pour eux.
C’est moi qui, jaillissant comme une fleur pensive,
Ennoblis les humains jusqu’au fond du cercueil.
Laisse rouler vers moi tes pleurs comme une eau vive :
Ils deviendront joyaux en abordant mon seuil.
Insensé, qui gémit à poursuivre un fantôme,
À travers l’univers folâtre et désolé,
Suis-moi, tu trouveras en ton cœur un royaume
Plus vaste que la terre et le ciel étoilé.
Les appels expirant en soupirs à ta bouche,
Les frissons inconnus et les désirs sans noms,
Les obscures amours que le jour effarouche,
Chanteront pour toi seul de secrètes chansons.
Va, le triste bonheur des mortels sur la terre
Ne vaut pas un lambeau des splendeurs que je tais.
N’écoute pas leur bruit. Tourne vers le mystère
Ta soif de vérité, de tendresse et de paix.
Le divin se recueille en nous, et je l’exprime ;
Et la lettre toujours est un miroir terni.
Les taciturnes seuls, penchés sur mon abîme,
Savent ce que leur cœur renferme d’infini.
Raymond CHRISTOFLOUR.
Recueilli dans Anthologie de la Société des poètes français, t. I, 1947.