Chant du soir
La lune s’est levée,
Le firmament scintille
Dans le ciel pur et clair ;
La forêt est noire et s’est tue,
Et des prés monte lentement
Le merveilleux brouillard blanc.
Comme le monde est tranquille,
Et, dans le voile du soir,
Aussi intime et accueillant
Qu’une chambre silencieuse
Où vous chasserez l’ennui
Du jour dans le sommeil et l’oubli.
Voyez-vous là-haut la lune ?
On n’en voit que la moitié,
Pourtant elle est ronde et pleine.
Ainsi sont bien des choses
Dont nous rions sans souci,
Car nos yeux ne les voient pas.
Nous les fiers enfants des hommes
Sommes de pauvres et vaniteux
Pécheurs et sachant fort peu ;
Nous concevons des chimères
Et cherchons maints artifices
Et nous éloignons du but.
Ô, Dieu, montre-nous ton salut,
Défions-nous du périssable,
N’ayons joies aux vanités !
Fais que nous devenions simples
Et, devant toi ici-bas,
Pieux et joyeux comme des enfants !
Si tu voulais sans courroux
Enfin nous ravir à ce monde
Par une paisible mort !
Et, quand tu nous auras pris,
Fais-nous venir en ton ciel,
Toi, notre Seigneur et Dieu !
Couchez-vous donc, mes frères,
Au nom de Dieu dans vos lits !
Le souffle du soir est froid.
Épargne-nous les châtiments,
Et laisse-nous dormir calmement,
Nous et notre voisin malade.
Matthias CLAUDIUS.
Recueilli dans Anthologie bilingue
de la poésie allemande,
Gallimard, 1993.