Action de Grâces

 

(Fragments)

 

 

– Me voici assis, et du haut de la montagne je vois tout le pays à mes pieds.

Et je reconnais les routes, et je compte les fermes et les villages, et je les connais par leurs noms et tous les gens qui y habitent.

La plaine par cette échappée à perte de vue vers le Nord !

Et ailleurs, se relevant, la côte autour de ce village forme comme un théâtre.

Et partout, à tout moment,

Verte et rose au printemps, bleue et blonde l’été, brune l’hiver ou toute blanche sous la neige,

Devant moi, à mon côté, autour de moi,

Je ne cesse point de voir la Terre, comme un ciel fixe tout peint de couleurs changeantes.

Celle-ci ayant une forme aussi particulière que quelqu’un est toujours là avec moi présente.

Maintenant c’est fini.

Que de fois ne suis-je pas sorti de mon lit, allant à mon ouvrage !

Et maintenant voici le soir, et le soleil ramène les hommes et les animaux comme avec une main.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

Certes j’ai toujours pensé que c’était une bonne chose que la joie.

Mais maintenant j’ai tout !

Je possède tout sous les mains, et je puis comme quelqu’un qui, voyant un arbre chargé de fruits,

Étant monté sur l’échelle, il sent plier sous son corps le profond branchage.

Il faut que je parle sous l’arbre, comme la flûte qui n’est ni basse, ni aiguë ! Comme l’eau

Me soulève ! L’action de grâces descelle la pierre de mon cœur !

Que je vive ainsi ! Que je grandisse ainsi mélangé à mon Dieu, comme la vigne et l’olivier.

 

 

 

Paul CLAUDEL.

 

Extrait de L’Annonce faite à Marie, Nouvelle Revue française, 1919.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net