La maison fermée

 

 

Mon Dieu, qui m’avez conduit à cette extrémité du monde où la terre n’est plus qu’un peu de sable et où le ciel que vous avez fait n’est jamais dérobé à mes yeux,

 

Ne permettez point que parmi ce peuple barbare dont je n’entends point la langue,

 

Je perde mémoire de mes frères qui sont tous les hommes, pareils à ma femme et à mon enfant.

 

Si l’astronome, le cœur battant, passe des nuits à l’équatorial,

 

Épiant avec la même poignante curiosité le visage de Mars qu’une coquette qui étudie son miroir,

 

Combien plus ne doit pas être pour moi que la plus fameuse étoile,

 

Votre enfant le plus humble que vous fîtes à votre image ?

 

La miséricorde n’est pas un don mol de la chose qu’on a en trop, elle est une passion comme la science,

 

Elle est une découverte comme la science de votre visage au fond de ce cœur que vous avez fait.

 

Si tous vos astres me sont nécessaires, combien davantage tous mes frères ?

 

Vous ne m’avez pas donné de pauvre à nourrir, ni de malade à panser,

 

Ni de pain à rompre, mais la parole qui est reçue plus complètement que le pain et l’eau, et l’âme soluble dans l’âme.

 

Faites que je la produise de la meilleure substance de mon cœur comme une moisson qui va poussant de toutes parts où il y a de la terre (des épis jusqu’au milieu de la route),

 

Et comme l’arbre dans une sainte ignorance qui lui-même n’attend pas gloire ou gain de ses fruits, mais qui donne ce qu’il peut.

 

Et que ce soient les hommes qui le dépouillent ou les oiseaux du ciel, cela est bien.

 

Et chacun donne ce qu’il peut : l’un le pain, et l’autre la semence du pain.

 

 

 

Faites que je sois entre les hommes comme une personne sans visage et ma

 

Parole sur eux sans aucun son comme un semeur de silence, comme un semeur de ténèbres, comme un semeur d’églises,

 

Comme un semeur de la mesure de Dieu.

 

Comme une petite graine dont on ne sait ce que c’est

 

Et qui jetée dans une bonne terre en recueille toutes les énergies et produit une plante spécifiée,

 

Complète avec ses racines et tout,

 

Ainsi le mot dans l’esprit. Parle donc, ô terre inanimée entre mes doigts !

 

Faites que je sois comme un semeur de solitude et que celui qui entend ma parole

 

Rentre chez lui inquiet et lourd.

 

 

 

Paul CLAUDEL.

 

Extrait de Cinq grandes odes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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