Le puits de Jacob

 

 

                                                 à Paul Evdokimov

 

 

Soleil tournoyant, destructeur,

qui tout charbonne entre les cils,

et soudain l’ombre nous accueille

avec ses mains d’arbres, d’oiseaux,

avec ses mains de femme et d’eau.

 

Un puits non pas, mais une source

dans sa vasque de pierres sombres,

fraîche comme un dedans de cruche.

Sous les racines, sous les rocs,

sous tout poids et toute matière,

les eaux légères ont tissé

une résille de lumière.

 

Eaux vierges, eaux de larmes salées

et douces, grand large soudain

sous le vent du premier matin.

 

Vivre est une roue, et la femme

une noria ruisselante.

Celle-ci a eu cinq maris,

autant que chacun a de sens

qui découpent, mangent le monde.

Maintenant, l’amant de hasard,

le doux néant où l’on oublie

la lourde noria de la vie.

 

Noria des jours et des nuits,

noria des amours, des morts,

et celui qui boit de cette eau

aura soif et boira encore,

cloué à la roue que la mort

fait tourner et tourner encore.

 

Un jour la roue s’arrêtera

au mont du crâne et deviendra

la croix de sang, l’arbre de vie.

Et la lance en plein cœur plantée

fera jaillir l’eau qui bondit

dans la vie sans mort et sans nuit.

 

Il ne juge pas mais lui dit

l’humble noria de sa vie

et qu’elle peut puiser aussi.

 

Il ne juge pas mais propose

l’échange des soifs.

 

Et la transforme

en cette source qu’elle était

mais bien scellée.

 

Et qui libre et forte bondit

au-delà des morts et des vies

dans la vérité de l’Esprit.

 

 

 

Olivier CLÉMENT,

Déracine-toi et plante-toi dans la mer,

Éditions Anne Sigier, 1998.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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