Le Septième Ange

 

 

Voilà comment en nous se peut rompre une artère,

Voilà comment en nous un cycle s’interrompt,

La trompette a sonné, l’ange n’a qu’à se taire.

Ce que l’ange a défait d’autres le referont.

 

Ce n’est pas grave. Une minute ! Une minute

Désagréable, mais c’était du beau travail.

Or, l’ange le regarde avec ses yeux de brute

Avec ses yeux de folle, avec ses yeux d’émail.

 

Et s’en va. Qu’on s’y fasse. Où va-t-il ? Je l’ignore

Il l’ignore lui-même. Il est seul. Il est nu.

Il est immense. Il est une espèce d’aurore.

Boréale. Il s’en va comme il était venu.

 

Ce n’est pas drôle. Rien n’est drôle. C’est son rôle

De ne pas être drôle et d’être le zéro

Qui souffle dans du cuivre et désaxe les pôles,

Avec l’indifférence exquise d’un bourreau.

 

Il s’exécute avec l’exquise indifférence

D’un bourreau payé cher et qui n’est pas méchant.

Avec l’indifférence exquise de l’enfance

Qui torture une sauterelle dans un champ.

 

Le champ, pour ce supplice, ouvre ses ondes blondes.

L’ange musicien, sans être plus ému,

(Blonde est sa grâce aussi) s’éloigne entre les mondes

Jamais on ne saura quelle force le mût.

 

Quelle force le mût, qui lui donna cet ordre

De cueillir notre monde et de mordre dedans.

De choisir une vieille orange pour y mordre

Et pour laisser dedans la marque de ses dents.

 

C’est une curieuse histoire que la Bible

Raconte. Savez-vous ce qui vous pend au nez ?

Savez-vous, sentez-vous, qu’il n’est pas impossible

De revivre ce jour dont vous vous étonnez.

 

Et que cet ange cueille encore notre orange

Et la morde et sonnant de sa trompette d’or,

Reprenne sa musique et ce beau travail d’ange,

Sa fanfare de mise à mort.

 

 

 

Jean COCTEAU.

 

Extrait de « Le chiffre sept », Poèmes 1916-1955.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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