Le feu du feu
Vos péchés, bonnes-sœurs, j’en ferais bien ma neige,
Alors le cri du Christ comment le mangerai-je ?
Car vos soldats, Seigneur, le mangent votre cri
Plutôt que de livrer sa preuve par écrit.
Ginifert aux yeux bleus porte longue tunique,
L’ange n’est pas ainsi, jurant comme un bouvier ;
Domrémy ta fontaine a son parler rustique
Mais point Jeannette-George on ne doit envier.
Le Diable lui criait : « Monte ! monte à l’échelle ! »
Il ne faut la confondre, debout, décoiffée,
Se jetant de la tour et se croyant des ailes
Avec Jeanne écoutant rire les saintes fées.
Brûlez-moi tribunal, Dieu me parle souvent.
Je ne le puis prouver par des expériences,
Trop indocte je suis et de cœur peu savant ;
Les anges pour paraître ont une autre science.
Jadis, jeune poète, à Rome, sur le Tibre,
Naïf, très ridicule et bavard comme pie,
Je regardais le pont Saint-Ange aux anges tigres,
Anges zèbres, anges tachés du Pape Pie.
Que me fait maintenant la grâce Italienne !
Des anges, ces Romains sales et soucieux ?
Entre la Vierge et moi les anges vont et viennent,
Je ne leur fais pas peur et ne m’effraye d’eux.
Vous me dites : Le diable en anges se déguise,
Qu’il est anges menteurs, anges magiciens,
Ces rameurs remuant l’eau pure de l’Église
Pour qu’on ne puisse voir où le mal et le bien.
Dieu vous étonnera, princes de la Sorbonne,
Et les anges surtout, mon extrême souci ;
Car, sachez-le : chose qu’un ange trouve bonne
N’est jamais celle-là qu’on trouve bonne ici.
Les vrais anges du ciel ont des amis au bagne
Et pour sauver Jeannette ils la laissent tuer ;
Ils survolent sans choix la France, l’Allemagne ;
À leur langage dur je suis habitué.
Inculpez-moi de présomption, de malice ;
Les anges que je sers sont ma seule police.
Jean COCTEAU.
Paru en 1925 dans Le Roseau d’or.