La harpe éolienne
Ô pensive Sara, quand ton beau front qui penche,
Léger comme l’oiseau qui s’attache à la branche,
Repose sur mon bras, et que je tiens ta main,
Il m’est doux, sur le banc tapissé de jasmin,
À travers les rosiers, derrière la chaumière,
De suivre dans le ciel les reflets de lumière,
Et, tandis que pâlit la pourpre du couchant,
Que les nuages d’or s’écroulent en marchant,
Et que de ce côté tout devient morne et sombre,
De voir à l’orient les étoiles sans nombre
Naître l’une après l’autre, et blanchir dans l’azur,
Comme les saints désirs, le soir, dans un cœur pur.
À terre, autour de nous, tout caresse nos rêves ;
Nous sentons la senteur de ce doux champ de fèves ;
Aucun bruit ne nous vient, hors la plainte des bois,
Hors l’Océan paisible et sa lointaine voix
Au fond d’un grand silence ;
– et le son de la Harpe,
De la Harpe en plein air, qui suspend une écharpe
Aux longs rameaux d’un saule, et qui répond souvent
Par ses soupirs à l’aile amoureuse du vent.
Comme une vierge émue, et qui résiste à peine,
Elle est si langoureuse à repousser l’haleine
De son amant vainqueur, qu’il recommence encor,
Et, plus harmonieux, redouble son essor ;
Sur l’ivoire il se penche, et d’une aile enhardie
Soulève et lance au loin des flots de mélodie ;
Et l’oreille, séduite à ce bruit enchanté,
Croit entendre passer, de grand matin, l’été,
Les sylphes voyageurs, qui, du pays des fées,
Avec des ris moqueurs, des plaintes étouffées,
Arrivent, épiant le vieux monde au réveil.
Ô magique pays, montre-moi ton soleil,
Tes palais, tes jardins ! où sont tes Harmonies,
Elles qui, dès l’aurore, en essaims réunies,
Boivent le miel des fleurs, et chantent, purs esprits,
Et font en voltigeant envie aux colibris ?
Ô subtile atmosphère, ô vie universelle,
Dont, en nous, hors de nous, le flot passe et ruisselle ;
Âme de toute chose et de tout mouvement ;
Vaste éther qui remplis les champs du firmament ;
Nuance dans le son et ton dans la lumière ;
Rythme dans la pensée, impalpable matière ;
Ô s’il m’était donné, dès cet exil mortel,
De nager au torrent de ton fleuve éternel,
Je ne serais qu’amour, effusion immense ;
Car j’entendrais sans fin tes bruits ou ton silence !
Ainsi de rêve en rêve et sans suite je vais ;
Ainsi, ma bien-aimée, hier encor je rêvais,
À midi, sur le bord du rivage, à mi-côte,
Couché, les yeux mi-clos, et la mer pleine et haute,
À mes pieds, tout voyant trembler les flots dormants,
Et les rayons brisés jaillir en diamants ;
Ainsi mille rayons traversent ma pensée ;
Ainsi mon âme ouverte et des vents caressée
Chante, pleure, s’exhale en vaporeux concerts,
Comme ce luth pendant qui flotte au gré des airs.
Et qui sait si nous-même, épars dans la nature,
Ne sommes pas des luths de diverse structure,
Qui vibrent en pensers, quand les touche en passant
L’esprit mystérieux, souffle du Tout-Puissant ?
Mais je lis dans tes yeux un long reproche tendre,
Ô femme bien-aimée ! et tu me fais entendre
Qu’il est temps d’apaiser ce délire menteur.
Blanche et douce brebis chère au divin Pasteur,
Tu me dis de marcher humblement dans la voie ;
C’est bien, et je t’y suis ; et loin, loin, je renvoie
Ces vieux songes usés, ces systèmes nouveaux,
Vaine ébullition de malades cerveaux,
Fantômes nuageux, nés d’un orgueil risible ;
Car qui peut le louer, Lui, l’Incompréhensible,
Autrement qu’à genoux, abîmé dans la foi,
Noyé dans la prière ? – Et moi, – moi, – surtout moi,
Pécheur qu’il a tiré d’en bas, âme charnelle
Qu’il a blanchie ; à qui sa bonté paternelle
Permet de posséder en un loisir obscur
La paix, cette chaumière, et toi, femme au cœur pur !
Samuel Taylor COLERIDGE, 1795.
Traduction de Sainte-Beuve.