L’oiseau
(D’APRÈS PLESCHTSCHEEFF)
L’OISEAU joyeux s’éveille avec l’aube sereine.
Mais déjà, dès avant que le premier rayon
Brillât, le laboureur travaillait dans la plaine,
Penché sur sa charrue et creusant le sillon !
L’oiseau s’élancera plus haut que le nuage,
D’un vol rapide et sûr montant dans l’éther bleu.
Tout ce qu’il aura vu dans le petit village,
Il ira sans retard le redire au bon Dieu.
Il dira que le pauvre, en sa froide demeure,
Souffre, peine et gémit sous le poids de ses maux ;
Que la terre est avare et qu’il faut, à toute heure,
La féconder, au prix d’efforts toujours nouveaux.
Car Avril même, Avril qui donne tant de joie
Aux gais oiseaux, Avril, si doux en sa beauté,
À ceux que la misère a choisis pour sa proie
N’apporte pas leur part d’espoir et de gaîté.
Certes, comme l’oiseau d’une chanson sonore
Salue insoucieux la naissance du jour,
Le laboureur voudrait aussi, quand vient l’aurore,
L’accueillir, au réveil, par un hymne d’amour ;
Certe, il voudrait chanter, mais il faut qu’il se taise.
Comme un plomb écrasant, le fardeau du souci
Sur son cœur inquiet trop obstinément pèse
Et lui courbe le front sans trève ni merci.
Donc l’oiseau priera Dieu pour qu’il soit secourable
Aux humbles et qu’il daigne, en étendant sa main
Sur eux, faire leur sort un peu moins misérable
Et moins durs les cailloux de leur rude chemin,
Et qu’il veuille, gardant leur âme de l’envie,
Leur bouche du blasphème et leur cœur du remord,
Les aider à traîner le labeur de la vie,
Sans plainte, en attendant le repos de la mort.
Paul COLLIN,
Trente poésies russes,
1844.