Le proscrit
Je vous revois après vingt ans d’absence,
Charmant séjour où je vivais heureux,
Où je courais le cœur plein d’espérance,
Avec ma sœur, enfant capricieux,
Quand notre mère à nos jeux, attentive,
Nous regardait du seuil de la maison,
Ou bien venait mêler sa voix plaintive,
À nos accents joyeux sur le gazon.
Que d’amertume a passé dans mon âme
Depuis ce temps de bonheur et d’amour !
Il s’est enfui comme s’enfuit la flamme
Qui monte au ciel à la fin d’un beau jour.
Hélas ! ma mère a quitté ce rivage
Où la douleur suit de près le plaisir,
Et me voici de retour au village ;
– Consolez-moi parfums du souvenir !...
Rien n’est changé, la maison est la même,
Elle sourit sous le soleil levant,
Et sur son toit l’hirondelle que j’aime,
Comme autrefois soupire avec le vent ;
Heureux oiseau ! ta voix s’élève encore
Sur la chaumière où tu posas ton nid,
Tandis que moi fugitif dès l’aurore,
J’erre au hasard, hélas ! je suis proscrit.
C’est en tremblant que je rentre au village,
Où j’ai vécu comme l’oiseau des champs,
Où j’écoutais le soir dans le feuillage,
Des rossignols les hymnes si touchants ;
Où le matin ma mère gracieuse
Nous appelait pour prier le Seigneur,
Dans la chapelle où d’une main pieuse
Elle apportait chaque jour une fleur.
Arbres chéris que le zéphyr balance,
Vous soupirez encore aux mêmes lieux,
Où je venais dans ma naïve enfance,
Rire et chanter avec l’oiseau des cieux ;
De votre sein la vapeur enivrante,
Donne la vie à mon cœur attristé,
Et votre brise aimable et caressante
Calme ce cœur si longtemps agité.
Bosquet charmant et toi blanche aubépine,
Je vous revois gais, riants, pleins de fleurs,
Et puis là-bas j’aperçois la colline
Où se couchaient les passereaux moqueurs ;
Voici la place où notre chien fidèle
Veillait le soir en gardant la maison,
Et maintenant sous la vieille tonnelle,
Il dort couché sous l’humide gazon.
Je revois ce village et ce vallon fertile,
Où mes pères vivaient heureux loin de la ville
En cultivant leurs champs.
Où ma mère si douce éleva ma jeunesse,
Couvrant mes premiers pas des fleurs de sa tendresse
Et de ses soins touchants.
Cette fleur de ma vie, hélas ! un jour l’orage
L’emporta comme on voit emporter le nuage,
Sur l’aile des autans.
J’attendis bien longtemps puis j’attendis encore,
Hélas ! c’était en vain, car la nuit sans aurore
Grandit avec le temps.
J’étais bien jeune encor quand je perdis ma mère :
Un soir elle me dit, enfant ! fais ta prière
Ici tout près de moi.
Je priai, puis mes yeux se levèrent vers elle
Son visage était pâle et sa noire prunelle
Me remplissait d’effroi.
Je tremblais, car la mort, avec sa voix de glace,
À ma mère disait, viens ! suis-moi dans l’espace
Où l’on reste à jamais.
Suis-moi ! la terre attend ! arrière à toute joie,
J’aime les pleurs, le sang, le désespoir qui ploie
L’homme dans ses accès.
Et ma mère pleurait ; ses larmes sur ma tête
Tombaient en me brûlant. Et sa bouche muette
Se remua trois fois ;
Son âme s’envola sur l’aile d’un archange,
Et rejoignit au ciel la céleste phalange
Pour y mêler sa voix.
Bientôt après, sur nous se déchaîna l’orage,
Nous fûmes dispersés, comme l’est le feuillage
Au vent de l’aquilon.
Le malheur, ce vautour à la serre cruelle,
En fit tomber plus d’un du revers de son aile
Sous l’herbe du vallon.
Errant, proscrit, chassé, je reste seul au monde,
Et pour me consoler de ma douleur profonde,
Je viens revoir ces lieux,
Je viens m’agenouiller près de ce banc de pierre
Où s’asseyait le soir ma sœur près de ma mère,....
– Dans le ciel toutes deux.
Et là, prenant ma lyre,
Je viens mêler ma voix
À la voix qui soupire
Et chante dans les bois.
Mon âme à cet instant fuit cette aride terre,
Par le rêve emportée elle s’envole aux cieux,
Et mêlant ses baisers aux baisers de ma mère
Elle endort mes douleurs et je me sens heureux.
Dupuis COLSON.
Paru dans La Tribune lyrique populaire en 1861.