Louanges à la Sainte Vierge
Avant que du Seigneur la sagesse profonde
Sur la terre et les cieux daignât se déployer ;
Avant que du néant sa voix tirât le monde,
Qu’à ce même néant sa voix doit renvoyer,
De toute éternité sa prudence adorable
Te destina pour mère à son Verbe ineffable,
À ses anges pour reine, aux hommes pour appui ;
Et sa bonté dès lors élut ton ministère
Pour nous tirer du gouffre où notre premier père
Nous a d’un seul péché plongés tous avec lui.
Ouvre donc, Mère-Vierge, ouvre l’âme à la joie
D’avoir remis en grâce et nous et nos aïeux :
Toi-même, applaudis-toi d’avoir ouvert les cieux,
D’en avoir aplani, d’en avoir fait la voie.
Les hôtes bienheureux de ces brillants palais
T’offrent et t’offriront tous ensemble, à jamais,
Des hymnes d’allégresse et de reconnaissance ;
Et nous que tu défends des ruses de l’enfer,
Nous y joindrons l’effort de l’humaine impuissance,
Pour obtenir comme eux le don d’en triompher.
Telle que s’élevait du milieu des abîmes,
Au point de la naissance, et du monde, et du temps,
Cette source abondante en flots toujours montants
Qui des plus hauts rochers arrosèrent les cimes,
Telle en toi, du milieu de notre impureté,
D’un saint enfantement l’heureuse nouveauté
Élève de la grâce une source féconde ;
Son cours s’enfle avec gloire, et ses flots qu’en tout lieu
Répand la charité dont regorge son onde,
Font en se débordant croître l’amour de Dieu.
Durant ces premiers jours qu’admirait la nature,
La vie avait son arbre ; et ses fruits précieux,
Remplissant tout l’Éden d’un air délicieux,
À nos premiers parents s’offraient pour nourriture.
Ainsi le digne fruit que tes flancs ont porté
Remplit tout l’univers de sainte volupté,
Et s’offre chaque jour pour nourriture aux âmes ;
Il n’est point d’arbre égal, et jamais il n’en fut,
Et jamais ne sera de plantes ni de femmes
Qui portent de tels fruits pour le commun salut.
Un fleuve qui sortait du séjour des délices
Arrosait de plaisirs ce paradis naissant,
Et sur l’homme encore innocent
Roulait avec ses flots l’ignorance des vices
Vierge, ce même fleuve en ton cœur s’épandit,
Quand, pour nous affranchir de ce qui nous perdit,
Ton corps du fils de Dieu fut l’illustre demeure.
La terre au grand auteur en rendit plus de fruit,
La nature en reçut une face meilleure
Et triompha dès lors du vieux péché détruit.
Pierre CORNEILLE,
Office de la Sainte Vierge
traduit en vers français, 1680.
Recueilli dans Rosa mystica :
Les poètes de la Vierge,
du XVe au XXe siècle, s. d.