Paraphrase

sur la complainte de la Vierge

          au pied de la croix

 

 

 

                Stabat mater, etc...

                Percée au plus profond du cœur

D’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,

Droite au Pied de la croix où son cher fils l’appelle,

La Vierge, triste objet d’une injuste rigueur,

 

        Cujus Animam, etc...

        Persévère immobile, et son âme abattue

                                  Cède au coup qui la tue ;

        Au lieu de voir ce cher fils respecté,

                                  Ô Dieu, l’étrange peine !

        Elle le voit sur la croix tourmenté ;

        Mais ses tourments sauvent la race humaine.

 

                O quam, etc...

                Qu’elle sent de rudes combats !

Contre son propre amour notre amour l’intéresse,

Et pour l’un et pour l’autre elle a de la tendresse,

Elle meurt s’il endure et s’il n’endure pas.

 

Quae maerebat, etc...

Réduite au triste choix de voir notre misère

                Ou de n’être plus mère,

Des deux côtés son mal est infini,

                Ô Dieu ! l’étrange peine !

        Faut-il pour nous que son fils soit puni ?

        Faut-il laisser perdre la race humaine ?

 

                Qui est homo, etc...

                Où serait l’homme si brutal

Qui pût voir cette mère en de telles alarmes

Et ne lui donner pas quelques chétives larmes

Pour ce que ses douleurs lui font souffrir de mal ?

 

Quis posset, etc...

Entendant ses soupirs, serait-il bien possible

                Qu’un cœur fût insensible ?

      Lorsqu’elle pâma au pied de cette croix,

                Ô Dieu, l’étrange peine !

      Un fils unique être aux derniers abois,

      Et par sa mort sauver la race humaine !

 

                Pro peccatis, etc...

                Pense de quels ressentiments

Pouvait être soit âme en te point traversée,

Cœur ingrat qui jamais ne mis en ta pensée

Combien pour toi son fils endura de tourments.

 

Vidit suum, etc...

Que les traits sont poignants qui percent ses entrailles

                Voyant ses funérailles !

        Pourras-tu bien n’en être pas touché

                Puisque tu fais sa peine,

        Et que ce fils que meurtrit ton péché

        Par tant d’affronts sauve la race humaine ?

 

                Eia mater, etc...

                Ô mère, ô fontaine d’amour !

Faites que les travaux du fils et de la mère

Impriment dans mes sens cette douleur amère

Qui déchire vos cœurs en ce funeste jour.

 

Fac ut ardeat, etc...

Faites brûler le mien dans de pareilles flammes

                        À celles de vos âmes

        Afin, du moins, que je plaise à celui

                        De qui je fis la peine,

        Et qu’à jamais ce sang m’unisse à lui,

        Dont je voulus sauver la race humaine.

 

                Sancta Mater, etc...

                Sainte Mère, encore une fois,

Imprimez dans mon cœur ces douleurs indicibles

Que faisaient ressentir ces bourreaux inflexibles

À votre aimable fils sur cet infâme bois.

 

Tui nati, etc...

Partagez avec moi tous les excès qu’endure

                        Dieu pour sa créature :

        Que désormais et de cœur et d’esprit,

                        Puisque je fis sa peine,

        Je compatisse aux affronts qu’il souffrit

        Quand il voulut sauver la race humaine.

 

                Fac me vere, etc...

                Accordez-moi cette faveur

Que je forme avec vous de véritables plaintes,

Que je ressente mieux qu’avec des larmes feintes

Les mauvais traitements qu’on fait à mon Sauveur.

 

Juxta crucem, etc...

Que je pleure les maux qu’il souffre de l’envie,

                        Tous les jours de ma vie :

        Oui, j’ai dessein de rester avec vous

                        Pour soupirer sa peine

        Et m’imprimer et la croix et les clous

        Qui par sa mort sauvent la race humaine.

 

                Virgo Virginum, etc...

                Ô Vierge, des vierges l’éclat,

Dont la bénignité n’eut jamais de pareille,

Pourrez-vous refuser de me prêter l’oreille

Quand je plains de vous voir en ce fâcheux état ?

 

Fac ut portem, etc...

Lorsque vos déplaisirs affligent ma mémoire

                        C’est où je prends ma gloire

        Et ce cher fils que je regarde mort

                        Et qui fait votre peine

        Me fait sentir combien grand fut l’effort

        Qui sur la croix sauva la race humaine.

 

                Fac me plagis, etc...

                Faites donc que mon cœur outré

D’un regret amoureux de lui pouvoir survivre,

S’imprime fortement le dessein de le suivre

Au chemin des travaux que le sien m’a montré ;

Que les indignités dont le traitent mes vices

                        Redoublent mes services ;

 

        Inflammatus, etc...

        Mais qu’en ce jour où l’on reçoit de lui,

                        La couronne ou la peine

        Je trouve en vous, ô Vierge, un ferme appui,

        Puisque sa mort sauva la race humaine.

 

                Fac me cruce, etc...

                Ô Vierge ! ô croix ! ô mort ! ô prix

Qui put seul satisfaire à la rançon du monde !

Adorables objets de la gloire où se fonde

La plus fidèle ardeur dont nos cœurs soient épris !

Servez-moi de rempart, de guide et de lumière

                        Au bout de ma carrière,

 

        Quando corpus, etc...

        Et que mon âme, au dernier de mes jours,

                        Sans crainte de la peine,

        Possède au Ciel ce Dieu par vos secours,

        De qui la mort sauva la race humaine.

 

 

 

 

Antoine CORNEILLE.

 

Paru dans La Muse française en 1923, avec la note suivante :

 

« Nous avons pensé qu’à l’approche de la Semaine sainte on lirait avec intérêt cette curieuse paraphrase du Stabat ; d’abord parce qu’elle est l’œuvre de l’abbé Antoine Corneille, frère cadet de Pierre Corneille, et aussi, parce que, dans ces Stances le cadet a imité, aussi exactement que son texte le lui a permis, les Stances de Rodrigue dans Le Cid. Antoine Corneille né en 1611 (cinq ans après son frère Pierre et quatorze ans avant son frère Thomas), mourut en 1657. Ses œuvres poétiques forment un volume : Poésies chrétiennes et paraphrases sur les cantiques et hymnes de l’Église, à l’honneur de la Sainte Vierge, mère de Dieu, avec quelques autres puces pieuses et morales, par M. Corneille, religieux de Saint-Augustin ; Rouen, 1647, in-8°. Une nouvelle édition, publiée avec une notice et des notes de M. Prosper Blanchemain, en a été donnée par la Société des Bibliophiles normands ; Rouen 1877, in-4o. »

 

 

 

 

 

 

 

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