Sainte Solange
À perdre haleine, à perdre cœur
entre les aulnes, entre les saules
Solange la bergère court éperdue.
Tu es perdue, Solange, perdue, Solange.
Rainulfe II, fils de Bernard III comte de Poitiers
la veut.
Il la veut, il l’aura
la belle Solange
fille de vigneron de Villemont
fille de serfs
morte ou vive.
Rainulfe mène un galop d’enfer.
Le cheval a pris le mors aux dents.
Solange, la mort dans l’âme,
s’enfuit au long de la rivière
sa rivière l’Ouatier
bordée d’osiers, de noisetiers.
Le souffle de la bête est sur elle
sur son cou
dans ses cheveux.
Il est sur elle.
Non jamais, jamais, plutôt la mort, Seigneur que la souillure.
Une vie donnée jamais ne se reprend
Jésus Jésus Jésus. Je viens à vous !
L’éclair de la lame a coupé le soleil.
Elle tient sa tête dans ses mains
– Céphalophore, disaient les chroniqueurs –
Encore quelques pas toute droite,
vers sa rivière, sa douce rivière de l’Ouatier
et la tête a roulé sur les cailloux du gué.
Qu’advint-il de ce Rainulfe II
frère de Gausbert et d’Ebbles
fils de Bernard le comte excommunié ?
Or c’était le printemps, car elle avait seize ans
la bergère Solange.
Alleluia ! Alleluia ! Un cortège de Vierges la conduit au Roi
et ses compagnes partageront Sa Joie
L’Ange de Solange conduit son âme en Paradis.
« Venez, épouse du Christ, voici la couronne que le Seigneur vous a préparée pour l’éternité. Car pour Son Amour, vous avez répandu votre sang.
Vous avez aimé la sainteté et détesté le péché. C’est pourquoi votre Dieu vous a préférée à toutes vos compagnes et a répandu sur vous le parfum de Sa Joie... »
Dès l’âge de raison, sept ans disait le catéchisme, elle attendait ce jour
du printemps
dans la lumière
où elle aussi serait élevée de la terre.
Mais je suis à vous, Jésus si beau, prenez-moi !
Tout était simple, Rainulfe II, seigneur baron, lui avait dit :
« Je te prendrai en travers de ma selle. »
Elle avait refusé.
Je suis la petite fiancée du Seigneur.
Il me prépare une couronne d’immortalité
une gloire qui surpasse toute gloire terrestre.
Tout ne se passe pas toujours
comme dans les contes de fées.
Une fille de serfs n’est qu’une fille
et moins que rien.
Et la Vierge était belle.
Elle se nommait Solange
un nom qui flûte et qui module
la musique des Anges.
Dans votre resplendissante beauté
levez la tête, avancez avec confiance
et soyez Reine !
Bienheureux les lys des champs,
primevères, jonquilles dans les prés
et toutes les bêtes à Bon Dieu
et les oiseaux du Ciel
Bienheureux les cœurs purs car ils verront Dieu.
Solange la bergère lisait l’alphabet des merveilles de Dieu
aux doigts du vent
dans l’herbe des prairies
dans le suint des laines.
Agnelle, Agnès, Agnus Dei qui tollis peccata mundi...
C’est par Rainulfe le meurtrier, le mécréant, le mufle
que se consomme le sacrifice.
Satan a mis le désir en son cœur, en ses veines et l’orgueil.
Dextre ou senestre, les corbeaux fuient
les agneaux de l’année bêlent dans la prairie.
Le père vigneron est à sa vigne
la mère à sa lessive
la fille à son troupeau.
Ils n’avaient pourtant qu’elle, ces pauvres serfs.
Il faut tailler le cep pour avoir du bon vin.
Sa mère lui apprenait
à bien servir, aimer et craindre Dieu
de toute son âme, de tout son corps, et de tout son Esprit.
À Dieu Solange a tout donné.
Les bergères, le Bon Pasteur les aime avec délectation.
Et Germaine et Bernadette et Jehanne.
Elles gardent le troupeau.
Elles savent
Elles veillent
Elles prient
En vérité l’Esprit est prompt mais la chair est faible.
On dit même
on dit que la bergère Solange
les incurables guérissait
les périls conjurait
les loups apprivoisait.
Désormais bourgeois de Bourges
en pèlerines de pèlerins
processionnent
l’implorent
contre la peste et les fléaux.
Fléau de l’Ange peseur d’âmes
À sainte Solange de Bourges
les âmes sont sauvées.
Solange patronne du Berry
province couchée dans la boucle de la Loire
bocagère et fromagère
paisible et moutonnière
refuge du Dauphin
quand la France n’était plus la France.
Ostrogoths, Wisigoths, Burgondes et Barbares sont morts.
Est trépassé Charlemagne l’empereur à la barbe fleurie
Est dépecé le Saint Empire
Charles le chauve règne
Et Louis le germanique
Contre Lothaire le frère dépouillé.
Solange est toujours la bergère
en ce nouveau temps des Barbares
C’est la même aventure.
Délivre-nous des loups
de la peste de l’âme
de la sécheresse du cœur
de l’impudeur
Solange, vierge et martyre.
Épis au grand soleil
Au cœur paisible de la France
Au champ de sainte Solange
la moisson blondira.
Yves COSSON.
Recueilli dans
Les saints de tous
les jours de mai, 1958.