L’église de campagne

 

 

                               À Mlle Marie-Antoinette M...

 

                 Un souvenir heureux est peut-être sur terre

                                    Plus vrai que le bonheur.

                                                      Alfred de MUSSET

 

 

PARMI les souvenirs que mon cœur poétise

Un des plus gracieux est celui de l’église

Où nous allions prier un instant chaque soir.

Dans un rêve souvent je crois encor la voir,

Avec le charme exquis, mélancolique et sombre

Que lui donnait la nuit en y jetant son ombre.

Vous en souvenez-vous ? Quel silence imposant !

Régnait dans le saint lieu ! Quel repos bienfaisant

Et quel calme profond bien fait pour la prière !

Tout était noir ; pourtant devant le sanctuaire,

Une maigre veilleuse, en brûlant lentement,

Au-dessus de l’autel projetait par moment

Une petite flamme indécise et tremblante

Dont la lueur était à peine suffisante,

Dans les instants très courts de sa plus grande ardeur,

Pour faire sautiller sur les murs blancs du chœur

D’un candélabre éteint l’ombre allongée et noire.

Ah ! dans un tel silence on est heureux de croire !

Et l’on plaint ceux qui n’ont foulé les lieux sacrés

Que pour en admirer quelques lambris dorés,

Le ciseau d’un sculpteur ou le pinceau d’un maître,

De n’avoir vu que l’art, et de ne pas connaître

Ce qu’on trouve de beau, de simple et de touchant,

Au temps du crépuscule et du soleil couchant,

Dans une église pauvre au milieu d’un village.

Du calme du tombeau c’est la vivante image,

C’est la source où l’on puise un repos sans rival,

Une extase muette, un silence idéal,

Où notre cœur se plaît, où notre âme est ravie ;

Un port où l’on s’abrite un instant dans la vie

Quand l’orage soulève avec trop de fureur

Les flots des passions sur la mer de l’erreur.

Asiles sans lambris, simplicité que j’aime !

Rustiques murs blanchis et nus, preuve suprême

Que votre hôte puissant a la bonté d’un Dieu !

Dut-on trouver partout étrange cet aveu,

Je vous préfère encore aux vastes cathédrales.

Car lorsque dans un temple aux voûtes colossales,

Je songe au Créateur, mon cœur qui le conçoit

Dans un palais brillant rend hommage à son roi ;

Tandis que, sous le toit d’une simple chapelle,

Dans une vision plus touchante et plus belle,

Devant la modestie aimable du saint lieu

Il le voit dans sa crèche et l’aime comme un Dieu.

 

 

Isaac COTTIN.

 

Paru dans La Sylphide en 1897.

 

 

 

 

 

 

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