La pleureuse
Salut, sources sœurs,
Mères des ruisseaux aux pieds d’argent !
Bouillonnements sans fin,
Dégel de cristal, monts neigeux !
Toujours jaillissantes, jamais taries ; je veux dire
Tes beaux yeux, douce Madeleine.
Les Cieux ce sont tes beaux yeux ;
Cieux d’étoiles à jamais filantes ;
C’est toujours pour toi le temps des semailles,
Et tu sèmes des étoiles dont la moisson ose
Promettre à la terre de resplendir en retour
De toute la beauté du front des cieux.
Chaque matin un chérubin alerte
En aspire quelques gouttes
Dont la tendre influence
Ajoute de la suavité à ses lèvres suaves entre toutes ;
Puis il retourne à sa musique et son chant
De ce déjeuner garde la saveur tout le jour.
Quand un nouvel hôte étincelant
Prend place parmi les astres,
Et que le Ciel veut donner un festin,
Les Anges viennent avec leurs bouteilles
Puiser à tes yeux débordants
L’eau de leur Maître, qui est leur vin.
La rosée ne pleurera plus
Pour orner la pâle joue de la primevère ;
La rosée ne dormira plus
Nichée au cou du lis :
Elle aime bien mieux trembler ici,
Et les abandonner pour être ta larme.
Quand la douleur souhaite apparaître
Dans sa majesté la plus éclatante
– Car c’est une Reine –
Alors nulle autre que toi ne la pare :
C’est alors et alors seulement qu’elle porte
Ses perles les plus riches – je veux dire tes larmes.
Non, dans les yeux du soir,
Lorsque rougis ils pleurent
La mort du Soleil,
La Douleur souveraine n’offre visage si beau.
En nul autre lieu jamais se rencontrèrent
Douceur si triste, tristesse si douce.
La nuit se lève-t-elle ?
Toujours tes larmes tombent sans fin.
La nuit perd-elle ses yeux ?
Toujours la fontaine pleure pour tous.
Que le jour et la nuit fassent ce qu’ils veulent,
Une tâche est la tienne, celle de pleurer toujours.
Ce n’est pas Elle vécut tant d’années
Que sur ton tombeau on lira,
Mais Elle lamenta tant d’années :
C’est ainsi qu’il nous faut dater ta mémoire.
D’autres en jours, en mois, en années,
Mesurent leur âge, toi en pleurs.
Dites, frères étincelants,
Fils fugitifs de ces beaux yeux,
Vos mères fécondes,
Que faites-vous ici ? Quels espoirs peuvent vous porter
À naître ? Quelle cause peut vous emprunter
À ces nids de noble douleur ?
Où allez-vous si vite ?
Assurément la terre sordide
Ne peut goûter votre suavité,
Non plus que la poussière mérite votre naissance.
Douces créatures, où vous hâtez-vous donc ? O dites,
Pourquoi courez-vous si vite ?
Nous n’allons pas retrouver
Les chéris du lit d’Aurore,
La joue modeste de la rose,
Ni l’humble tête de la violette.
Non, rien de tel : nous allons rencontrer
Un plus digne objet – les pieds de notre Seigneur.
Richard CRASHAW.
Traduit par Victor Thaubois.
Recueilli dans La poésie anglaise,
par Georges-Albert Astre,
Seghers, 1964.