La guerre d’Alger

 

 

L’INFIDÈLE avait dit : « J’épouvante la terre ;

Au superbe Croissant tous les flots sont soumis ;

Dans les Rois, fils des Rois, mon large cimeterre

        Ne compte que des ennemis.

Du fond de mon sérail, je prodigue l’outrage.

        Que peut leur impuissante rage ?

        C’est la colère d’un enfant.

N’ai-je pas près de moi les ardents janissaires ?

Et quand ils braveraient mon peuple de corsaires,

        La mer du Midi me défend.

 

« De ses flots orageux je couvre mes conquêtes,

C’est de ma royauté le sanglant attribut,

Et l’or des nations vient racheter les têtes

        Que l’Univers m’offre en tribut.

En pâlissant d’horreur, le nautonier avide

        A fui cette plage livide

Qu’infestent chaque jour mes légers cavaliers ;

Et lorsqu’en sommeillant sur le sein de tes femmes,

Un souvenir de guerre aiguillonne leurs âmes,

Ils demandent : Europe, où sont tes chevaliers ?

 

« Et tu ne réponds pas ! j’ai sur tes émissaires,

À pleines mains versé l’opprobre et le dédain.

Le bronze foudroyant de mes hardis corsaires,

Repousse tes vaisseaux du rivage africain.

        Souriant au milieu des fêtes

À mes muets surpris je jette quelques têtes ;

Enivré de tes vins qui chassent le souci,

Je jouis des beautés que ton climat voit naître :

Où sont-ils tes vengeurs ? je voudrais les connaître. »

        L’Europe répond : « Les voici ! »

 

Pour laver les affronts dont l’insolent se vante,

Un peuple généreux doit jeter l’épouvante

        Jusques aux portes du sérail.

La colère de Dieu ne sera point trompée,

Et bientôt le Chrétien essuîra son épée

        Entre la pourpre et le corail.

 

Écrasons ces tyrans, dont le crime est la vie ;

Pour punir leur fureur dans le sang assouvie,

        Que l’Europe s’ébranle enfin !

De nos frères captifs, allons tarir les larmes ;

Étouffons dans le sang tous ces forfaits : Aux armes !

Qu’un peuple de héros soit l’arrêt du destin.

 

Ce peuple s’est levé ! quinze siècles de gloire

Protègent ses drapeaux bénis par la victoire.

Au monde qu’il vainquit, il inspire l’effroi ;

Et le couvrant encor d’un appui salutaire,

Il montre avec orgueil les vieux lauriers du Caire,

        Unis aux palmes de Rocroi.

        Des paladins il a l’audace

        Et la gaîté des troubadours.

        Quand il sourit, quand il menace,

On le retrouve encor tel qu’il brilla toujours.

        Sur les débris de l’anarchie,

        Fondant une autre monarchie,

        Il règne encor par sa valeur.

        Grand dans la paix, grand dans la guerre,

        Il sait, comme il savait naguère,

Consacrer ses exploits à venger le malheur.

 

Au cri de la pitié le voilà qui s’élance !

        Sur le vaisseau qui se balance,

Toulon voit s’entasser nos légers bataillons.

        Duquesne leur traça la route,

Car le Français toujours de sang eut quelque goutte

        Pour arroser ses pavillons.

 

        Triomphe à notre vieille France !

        Honneur à son Roi chevalier,

Qui, nourrissant des preux la superbe espérance,

        Porte une sainte délivrance

        Au rivage inhospitalier.

Il parle : du repos tombent les douces chaînes.

Comme un seul homme encor voyez-les se lever !

        Et sur les plages africaines

Ce qu’entreprit Louis, Charles veut l’achever !

 

Du bonheur général nos Rois sont solidaires :

        De ces titres héréditaires

Auraient-ils repoussé les obligations ?

Un Français a compris le vœu des nations.

Et regrettant bientôt ses sauvages repaires,

L’Arabe pressera le pas des dromadaires

        Pour fuir devant nos légions.

 

Sur l’orageuse mer qui baigne la Provence,

        Un étendard sacré s’avance.

C’est la vieille oriflamme ! ont crié nos conscrits ;

Et tous les souvenirs d’honneur et de victoire

Que le drapeau des preux rappelle à la mémoire,

        Se retracent dans leurs esprits.

Devant Jérusalem elle fut déployée,

        Aux champs de Bouvine envoyée,

Son aspect épouvante Othon bardé d’airain.

Des murs de l’Alhambra jusqu’aux rives d’Afrique,

Ses hauts faits de l’histoire épuisent le burin ;

Elle brise les fers de la jeune Amérique ;

        L’Indien pacifique

La salue, arborée aux vaisseaux de Suffren,

Et l’Europe la voit flotter plus magnifique

        Sous le canon de Navarin.

 

À ces grands souvenirs leur cœur palpite encore.

        Au vieux laurier qui la décore

Tous brûlent d’ajouter quelque laurier plus beau.

Des Français ont langui dans ces hideux repaires

Où de la liberté n’a point lui le flambeau.

Le rivage africain but le sang de nos pères

Que pleurait saint Louis descendant au tombeau.

 

La France a tressailli d’un généreux murmure.

Le Roi, le fils des preux, a saisi son armure.

Alger, perfide Alger, tu trembles à sa voix !

        Sous tes bastions formidables,

        Devant tes murs inabordables

Frémis ! car nos soldats y plantent leur pavois.

 

De ce même rivage où la flotte attirée

Attend, pleine d’ardeur, la brise désirée,

        S’élancèrent d’autres Français !

De périls inconnus conquérants intrépides,

Ils allaient jusqu’au pied des hautes Pyramides,

        Porter le bruit de leurs succès.

 

Ces générations de brillants Argonautes,

Le Ciel ne les voit point s’éteindre sur nos côtes ;

        La valeur chez nous suit le sang ;

Et ce que la Patrie avait dit à nos pères,

Elle vient le redire en des jours plus prospères,

Aux fils qui, sous leurs pieds, abattront le Croissant.

 

« L’Égypte, d’un Français éprouva la vaillance ;

« Les Sarrasins tremblants, à l’aspect de sa lance,

         « Fuyaient du Nil jusqu’au Jourdain.

« Héritiers de sa gloire, ah ! marchez sur sa trace,

« Et que vos ennemis trouvent dans chaque race

         « Le successeur d’un paladin.

 

« Ou dessus ou dessous, criait Lacédémone,

« Couvrant d’un bouclier ses enfants que Bellone

         « Entraînait aux combats.

« Eh bien ! moi mère aussi, j’offre cet héritage,

« Allez, jeunes héros, et que votre partage

         « Soit la victoire ou le trépas ! »

 

Ils reviendront vainqueurs ! ô ma patrie ! ô France !

Dans ton sein maternel nourris cette espérance.

Tes enfants pourraient-ils dégénérer un jour ?

Non. Leur cœur bravera l’acier des cimeterres,

Et les jeunes aiglons, dans leurs sanglantes serres

Sauront, comme jadis, étouffer le vautour.

 

Terre des Francs ! souris. Quel transport les anime !

        D’un concert unanime

Ils les ont salués ces dévorants climats.

Oh ! que d’un noble orgueil ton âme soit saisie !

Ils sont les descendants de ces preux dont l’Asie

        N’a point oublié le trépas.

Va, ces guerriers sont fils de ceux qui de Russie

        Osaient braver les noirs frimas,

Et qui, sous les chaleurs du ciel d’Andalousie,

        Mouraient, mais ne reculaient pas !

 

Dans ce désert de feu qui se déroule immense,

Sur les sables brûlants qui protègent Alger,

Les voilà tes vengeurs souriant au danger !

Une gloire finit, une gloire commence !

        Sous les murs d’Héliopolis,

Leurs pères ont dompté le mameluck sauvage ;

Eux, illustres rivaux, viennent à ce rivage

        Planter la bannière des lis.

 

Et, comme un lionceau secouant la poussière

Dont un premier combat a souillé sa crinière,

Ils aiguisent leurs fers sur le soyeux turban.

La rage dans leurs cœurs, le souris sur leurs bouches,

        Voyez ! des Bédouins farouches

Ils repoussent les feux et l’intrépide élan.

        Gloire aux Français ! la charge sonne,

        Gloire aux Français ! le bronze tonne,

Et sur les murs d’Alger paraît le vieux Chouan !

 

Quatre fils l’ont suivi. Notre naissante armée

Épie avec orgueil sa tendresse alarmée.

        Ses yeux ne sont pas repentants ;

Car il voulait prouver à l’Europe trompée

Qu’un Vendéen jamais n’a souillé son épée ;

Que partout où l’honneur guida nos combattants,

Cette terre fidèle, à ses maux échappée,

        Eut toujours des représentants.

 

Venez, ô nos soldats ! la Patrie est contente !

Vos aïeux, comme nous, envîraient vos exploits.

Votre jeune valeur surpasse notre attente,

Et le Dey tout tremblant sous sa pompeuse tente

        Sait ce que pèse un fer gaulois.

Votre sang a payé le sang de ses victimes.

Les pleurs qu’il doit verser laveront tous ses crimes.

Gloire à vous ! vous avez rompu d’indignes fers,

        Et vos fureurs trop légitimes

Ont enfin consacré la liberté des mers !

 

Mais à d’autres exploits la France vous convie.

Vous n’avez pas encor vaincu tous les tyrans.

La France à des tribuns maintenant asservie,

        Tourne vers vous ses yeux mourants.

Vous pouvez l’arracher à son terrible rêve.

Conquérants de la paix, que votre bras se lève !

Dans l’auguste balance où l’on pèse nos droits

        Jetez votre invincible glaive,

Et l’univers heureux vous bénira deux fois.

 

 

14 juillet 1830.

 

 

Jacques CRÉTINEAU-JOLY,

Poésies vendéennes et mélanges, 1833.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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