Le chant des mers solitaires
De la terre vaincue nous sommes souvenance.
Il fallait à Dieu notre profond mouvement
car l’invincible et éternelle mélodie du monde
était rythme en ses veines et en sa chair fleurie.
Notre vigueur est une force d’étoiles et de racines.
Les arbres nous ont donné leurs moribondes énergies.
Nous rêvons aux claires, énormes cicatrices
qu’ouvraient les arrogantes quilles des navires.
Comme un collier perdu de pierres fabuleuses
les étoiles nous blessent en notre rêve altier.
Nous sommes le sang trouble des choses défuntes ;
et le cri guttural de l’homme primitif.
Dans notre rébellion de frissons et de nerfs
tient l’écho de la terre qui mourut pourrie.
mâtures sonores, ô navires superbes
portés par les vents premiers de la vie !
Quels nouveaux argonautes verront la toison !
Sous une effroyable douleur frémissent nos cyclones
voulant revivre la défunte destinée
qui fut sanglante et âpre telle une ruée de lions.
Nous savons où étaient les étoiles, leurs traces
en nous sont demeurées. Avec une douceur
d’aïeul, nous irons sur les eaux placer les astres
que de sa main Jésus a détachés du ciel.
Nous serons une force énorme et ténébreuse.
Sur nos vagues vibrent d’immortelles douleurs,
et la voix du Christ roule imitant un sanglot
jeté depuis la croix jusqu’aux quatre horizons.
Angel CRUCHAGA SANTA MARIA.
Traduit par Claude Couffon.
Recueilli dans Anthologie de la poésie ibéro-américaine,
Choix, introduction et notes de Federico de Onis,
Collection UNESCO d’œuvres représentatives, 1956.