Les fils de Job
Nous sommes les enfants des plaies,
regain du découragement ;
nous portons la croix du Christ
dans l’intime de nos os.
Notre chant est un poignard
qui va se clouer dans les cieux.
Comme les longs sentiers
nous naquîmes crucifiés.
Notre chant est un abîme
qui peut engloutir le monde.
Nous passons tels les corbeaux
dans le cristal de la nuit.
Nous sommes près de la mort.
Nous sommes arrivés au bord
de ce monde et l’espérance
a fui, qui sait où ?
À quoi bon lutter en vain
puisque plus rien ne nous console,
et qu’à nos tuniques frustes
mordent toutes les étoiles
comme dans un fruit mûr
qui héberge la mort !
À quoi bon lutter en vain
puisque maudite est la terre,
que Lucifer étend ses ailes,
sinistre croissant de lune !
Seigneur, ô miroir d’or
où se mirent les enfants,
nous sommes les fils de Job ;
nous portons sur nos cilices
une rose de l’enfer,
un jasmin du Paradis.
Nous passons, chauves-souris
qui assombrissent le chemin.
Donne-nous ta mort, nous savons
que la joie nous oublie
et qu’il est un venin triste
en toutes nos semences.
Donne-nous la mort, Seigneur !
Brise-nous comme une lyre !
Entre tes doigts d’azur
la vie fuira dans un sourire.
Lance au vent de l’horizon
tout le mal qui nous accable,
et souffle tes ouragans,
car je crains de voir la terre
pourrie par le solennel
pouvoir de notre misère.
Que nos vies se dissolvent
dans le vent des étoiles.
Angel CRUCHAGA SANTA MARIA,
Job, 1922.
Recueilli dans Introduction à la poésie ibéro-américaine,
Présentation et traduction par Pierre Darmeangeat
et A.D. Tavares Bastos, Le Livre du Jour, Paris, 1947.