Le désir de l’orpheline
ÉLÉGIE
Qui me rendra tes doux baisers, ô mère ?
Reviens à moi ! n’entends-tu pas mes cris ?
J’appelle en vain ; ma peine est bien amère :
La mort ne rend jamais ceux qu’elle a pris !...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Sur ta tombe à genoux devant la croix de chêne,
Je me plais à venir te conter mon malheur ;
Car mon amour à ton âme m’enchaîne,
Et là ma foi s’avive à ma douleur.
Je me souviens toujours, soutien de ma jeunesse !
Ton visage est gravé dans mon cœur : je te vois !
À mes côtés il me semble sans cesse
Entendre encor mon nom prononcé par ta voix !
Souvent, mère, en ce monde, où tu fus passagère,
La mort fait oublier les serments les plus doux,
Et ta mémoire offusque l’étrangère
Qui te remplace, hélas ! près de ton cher époux.
Elle n’a pas ta bonté, ta tendresse ;
Jamais sa voix n’ordonne avec douceur ;
Et, jalouse, elle observe une rare caresse
De mon père volée à leur fille, à ma sœur.
Nul ne me plaint, nul ne sèche mes larmes ;
De l’amitié j’ignore les attraits ;
À chaque instant redoublent mes alarmes
Depuis ta mort je garde mes secrets.
Mon cœur soupire après ma délivrance :
Je n’ai plus rien mon bonheur s’est enfui !
Ô Dieu puissant, achevez ma souffrance !
Je veux ma mère, achevez mon ennui !
Anges du ciel, avec vous sous vos ailes
Que je m’envole et vers ma mère et Dieu ;
Faites-moi voir ces splendeurs éternelles
Dont elle me parlait dans son dernier adieu !
*
* *
Dans un cœur de seize ans le dégoût de la vie !
Déjà désespérer d’un meilleur avenir !
Plaisirs, fortune, hymen, que la jeunesse envie !
Ne sont que de vains mots auprès du souvenir
D’une mère, et Louise évoque sa présence
Au foyer, son amour qui se manifestait
Par des soins délicats, par cette clairvoyance
De désirs aussitôt satisfaits. Ah ! c’était
Le bon temps ! Aujourd’hui, Louise est délaissée ;
Fort jeune elle connaît l’amertume des pleurs ;
Et, dans ses sentiments, la pauvre enfant blessée
Compare et voit la mort pour guérir ses douleurs !...
Qu’elle serait heureuse au ciel avec sa mère !...
Son père pour l’absente eut bien quelques regrets,
Mais bientôt fatigué de vivre solitaire,
Des soucis du ménage, il s’éprit des attraits
D’une femme coquette, à l’altier caractère,
Dure et dissimulée, il lui donna sa main.
La paix de l’orpheline, hélas ! fut éphémère,
Une fille naquit de ce second hymen.
La marâtre devint alors plus exigeante :
La jalousie accrut sa sourde hostilité.
Louise est de sa sœur la bonne et la servante
À tout faire, elle est douce, elle est sans volonté,
Car il vaut mieux se taire, obéir sans se plaindre :
Le malheur avant l’âge a mûri sa raison :
L’ascendant d’une épouse envieuse est à craindre
Quant l’époux veut garder l’ordre dans la maison
Et lui plaire en choyant la nouvelle venue.
Quelle mère n’a pas l’égoïsme du cœur
Pour cet être si frêle, à la grâce ingénue,
Qu’elle étreint dans ses bras et contemple avec heur ?
Une rivale aurait les baisers de son père !
Cherche à frustrer ses droits ! prétend la supplanter ?
Cette audace inouïe indigne la mégère,
Et Louise comprend qu’elle a tort... d’exister.
Aussi qu’elle a changé pour ceux qui l’ont connue
Fraîche comme une fleur et gente en sa gaîté !
Contrainte aux durs travaux et mal entretenue,
Elle use chaque jour sa chétive santé.
Une toux sèche et rauque ébranle sa poitrine ;
Son visage a maigri ; ses yeux noirs sont bistrés,
Ses lèvres ont perdu leur couleur purpurine :
La phtisie implacable active ses progrès....
Dans la douleur son corps se tordait sur sa couche,
Et soudain un matin, dans un suprême effort
Pressant le crucifix tendrement sur sa bouche,
Vers sa mère et son Dieu son âme prit l’essor !...
Germain CUGUILLIÈRE.
Paru dans La Sylphide en 1897.