Dans les airs
Tout ce que j’ai, je te le livre !
Veux-tu ? changeons, heureux oiseau !
Et que ton aile me délivre
De la nécessité de vivre
Sous les mailles de ce réseau,
Qu’une implacable tyrannie
A tendu sur l’humanité,
Pour dompter l’effort du génie,
En lui laissant, par ironie,
Le rêve de la liberté !
Oh ! s’envoler vers les nuages !
Frôler les cimes du granit !
Dominer les sombres orages !
Mépriser les humaines rages !
Se rapprocher de l’infini !
Griser son œil de mille teintes
Sans mettre un nom sur les couleurs,
Sans vouloir sur des toiles peintes
Les fixer, comme si ces feintes
Valaient la moindre de nos fleurs !
De l’air interroger les ondes,
Pour percevoir ces grands accords,
Ces voix géantes et profondes
Qui naissent à travers les mondes
Du jeu des célestes ressorts !
D’une meurtrière ferraille
Braver l’odieux appareil !
Narguer la plus haute muraille,
Et n’avoir jamais, où qu’on aille,
À saluer que le soleil !
Adorer la Toute-Puissance
Du créateur de ce grand feu,
Sans chercher en vain son essence.
Et dire sa reconnaissance
En s’élevant dans le ciel bleu !
Vivre sans connaître la vie !
Ignorer ce que coûte l’or !
Et, quand le destin nous convie,
– Heureux oiseau, que je t’envie ! –
Mourir sans connaître sa mort !
Eugène DALZAC.
Paru dans L’Année des poètes en 1891.