La rencontre au parc
Le clair sourire de l’espace après l’orage !
Et si bien reflété par le sol ruisselant
Que je marche sur de l’azur ou du nuage...
L’arc-en-ciel brille. Au parc reviennent les enfants
Qu’émerveillent les pleurs étranges du feuillage.
L’averse a tout lustré de neuf en s’en allant.
L’univers est taillé dans une pierrerie.
Que de pardon dans l’air ! Rien que de respirer
Exalte. On remercie. On voudrait adorer.
Sais-je moi-même si j’admire ou si je prie ?
Tout à coup, au détour de l’allée, un grand heurt :
Le passant que voilà m’emporte la lumière.
Et cependant c’est un ami, ce promeneur
Qui s’achemine, front baissé, dans le parterre,
Un de ceux dont ma vie a tiré sa splendeur,
Un homme dont la seule approche vous apaise,
Tant l’âme y court limpide à travers la pudeur ;
C’est un ami, mais malheureux, et d’un malheur
Si dru, si plein, qu’il veut le taire et qu’on s’en taise...
Comme il se courbe ! Comme il s’est décoloré !
– Dire que je vibrais avec les jeunes pousses
Quand la ville contient de tels désespérés ! –
Toute cette clarté qui s’offre, il la repousse ;
Du jardin trop habile à distiller l’oubli
On devine à son pas que nul trait ne le touche.
Ô le plus doux de mes amis, quels tristes plis
Déchirent la beauté pensive de ta bouche !
Ô pâleur du blessé qui rencogne ses cris !...
Mais il m’aperçoit, se redresse, me sourit.
Et nous causons.
De quoi ? Du jour ; de cette fête
Qu’est la terre dès que reluit le grand ciel nu ;
Des plaisirs où la joie humblement se reflète ;
De la liesse des parfums quand il a plu ;
Des soupirs d’aise qui descendent et qui montent
Quand la lumière et l’eau, chantantes, se répondent,
Laissant pieusement transparaître en leurs jeux
L’éternelle souplesse et jeunesse de Dieu...
Et nous semblons deux purs esprits qui se racontent
Quel songe ils ont brodé sur l’étoffe du monde.
Pourtant j’épie un sourd frisson sous chaque mot,
Je poursuis dans sa voix trop égale un écho
De ces ahans et de ces coups dont sa pensée
Doit retentir, futaie au bûcheron laissée ;
Il voudrait m’en distraire ; il parle, il parle encor ;
Sa causerie est sinueuse à la manière
D’un de ces longs sentiers voilés de vert et d’or
Qui font cent tours sous bois sans quitter la lisière ;
Mais plus j’ai l’air de croire à ces riants dehors
Et plus je tends l’oreille aux lointaines cognées.
Entrevoir sa pensée ! est-elle résignée ?
Ou révoltée ? Et quel accent, quelle couleur
A pris dans un tel être une telle douleur ?
Commence-t-il déjà de lui prêter des charmes ?
Trouve-t-il sa richesse en ce dépouillement ?
L’appui surnaturel que tant d’heureux réclament
S’offre-t-il de lui-même à son accablement ?
Malgré lui, malgré moi, je le scrute. Âprement.
De chercher dans ses yeux le vestige des larmes
Me cache le plaisir d’y puiser l’amitié,
Et j’ai honte de cette impudique pitié
Qui s’irrite et s’acharne à dévêtir une âme.
Quel fantôme aussitôt que je l’aurai quitté !
Son front, sa hanche vont reprendre leurs plis tristes ;
Il n’acceptera plus que l’univers existe ;
L’heure ne sera plus de louer la clarté
Quand l’uniquement belle et la seule émouvante,
Sa douleur va se mettre en marche à son côté.
Sa jalouse douleur, que je la sens vivante !
Je l’entends respirer, je la vois nous guetter ;
Cette halte dans l’amitié l’impatiente ;
C’est la compagne, hélas ! qu’on ne présente pas,
Et qui s’écarte et se promène à quelques pas,
La tête haute, l’air distrait, couvant sa rage…
Et lui, la redoutant, prolonge nos parlages.
Il s’éloigne. Il prend l’autre allée. Il s’est perdu
Parmi la foule.
Ami, rends-tu grâce au silence
Qui nous rapproche ? En toi m’entends-tu ? Reçois-tu
Cette mystérieuse offrande, une influence ?
Jusqu’à toi ma pensée arrive à ton insu :
Tu crois que c’est le vent, les naïves nuances
De la pelouse, les jets d’eau, les voix d’enfants ;
Contre l’odeur de l’herbe eh ! qui donc se défend ?
Et tu permets enfin que les choses t’entraînent,
Et ta douleur, séduite à son tour, y consent.
Va, ce n’est pas le vieux jardin resplendissant,
Mais l’obscure amitié qui soulève ta peine ;
C’est ton frère qui veut sa charge de ta chaîne
Et que tu puisses, chez les fleurs, reprendre haleine ;
Laisse-toi sans scrupule apaiser par le beau
Tandis que ton destin, de tout son poids, m’accable ;
Cherche au plus vert du parc la fraîcheur délectable ;
Recueille seulement le bruit des gouttes d’eau ;
Que les arbres, comblés de lumière et de pluie,
T’enseignent le secret des larmes éblouies.
Pour moi, tu m’as voilé la grâce des jardins,
Et le rayonnement de ton chaste courage
Est cause qu’à présent j’éprouve du dédain
Pour le sourire de l’espace après l’orage.
Fernand DAUPHIN, Les Allégresses : Élégies du Bonheur.