Rembrandt
Il aimait la Lumière, éclat, lueur ou flamme,
De cet amour que le mystique voue à l’âme :
Il l’exaltait et la châtiait tour à tour.
Il la cloîtrait dans des lieux bas, dans des coins sourds,
Pour qu’elle s’y transfigurât, surnaturelle.
Il ne trouvait pas d’ombre assez dure pour elle,
Pas de cachot trop froid ni de haillons trop vils.
Il la rassasiait d’épreuves et d’exils.
Il la livrait aux gueux ricanants, toute nue.
Il lui faisait saigner des pourpres inconnues.
Partout, chez les bijoux lascifs, dans le cristal,
Sur la table d’amphithéâtre ou dans l’étal,
Il épiait, jaloux, ses moindres aventures.
Âpre, il imaginait des caves de torture
Où quelque grand rayon palpite, douloureux.
Il regardait le jour s’achever dans les yeux
Du blessé qu’on ramène an crépuscule. Triste
Ou joyeuse, chez le marchand, chez l’alchimiste,
Saine ou malade, se traînant ou s’envolant,
Il approchait toujours la Lumière en tremblant.
Au soir, elle rendait solennel comme un temple
Le logis gris où le philosophe contemple ;
Avec les fiancés elle s’extasiait ;
Elle chantait dans la maison du menuisier,
Dorait les vieilles mains et les vieilles demeures.
Lui la suivait, comme son âme. — À d’autres heures
On eût dit qu’il la punissait d’aimer la chair,
La terre, le plaisir, de se pâmer dans l’air
Et de rire, entre deux averses, dans les branches,
De caresser des seins et de frôler des hanches,
Et d’être de moitié dans toute volupté :
Sans pitié pour la plaie et pour la pauvreté,
Au luxe et à l’orgie elle était toujours prête,
Se mirait, paradait, dansait, maniait l’or,
Les velours, les colliers, les joyaux, les aigrettes,
Et se prostituait chez les riches... Alors
Il la saisissait, la plongeait dans des flots d’ombre,
Il la damnait ; dans un paysage en décombres,
On la voyait flotter, noyée informe, et puis
S’enfoncer dans la nuit souterraine... Mais lui
Restait hanté par son éblouissante image,
Et, tout à coup, dans une auberge de village,
Entre deux maigres vagabonds à cheveux gris,
Il la ressuscitait dans l’œil de Jésus-Christ.
Fernand DAUPHIN, Odes à voix basse.