Prière d’une maman

au bord de l’impatience

 

 

Quatre heures.

Venez là, mon Dieu.

Tout près. Plus près.

J’aurai grand besoin de vous, tout à l’heure. Les enfants vont rentrer de l’école. L’un après l’autre, mes quatre ouvriront la porte à la volée et crieront, sur le mode impératif :

– Maman !

Je suis fatiguée.

Depuis le matin, je lave, je repasse, et je m’occupe des deux plus jeunes.

La routine quotidienne – cuisine, ménage, vaisselle – a rogné une tranche de l’avant-midi. Malgré tout, la corbeille s’est vidée à coup de fer et de patience.

Les vêtements attendent que je les range dans leurs casiers respectifs. Cette pile va à l’étage, dans le dortoir des fillettes. Cette autre, à la lingerie. Cette troisième, au reprisage. Chaque chose à sa place. Mais c’est moi, encore moi, toujours moi qui devrai l’y déposer.

Le matin, vous le savez, j’ai tous les courages. Comme c’est naturel, alors, de croire à la joie, dans l’aube fraîche de cette nouvelle étape vers vous ! Comme c’est facile d’aimer ma maison, mon mari, mes petits ! Et avec quelle exaltation heureuse je cours vers cette besogne dévorante, mon lot, ma spiritualité en robe de ménage !

Oui ! Les matins sont un don. Les soirs, une plénitude. Quand les enfants dorment et que je caresse leurs fronts, mon cœur vibre de tendresse, mes mains tremblent de joie comblée, et je vous dis : « Merci, Seigneur, merci ! »

Mais de quatre à sept, vraiment, ils me harcèlent, me pressurent, me dévorent. Leurs demandes se croisent, se chevauchent, s’obstinent. Les uns pleurent, les autres exigent, et tout converge vers moi, la maman, « leur » maman.

Venez là, Seigneur.

Il me faudra sourire, chanter, dissimuler gaillardement ma lassitude et la sourde rancœur qu’attise le contraste entre l’inconscience de leur jeunesse et mon dévouement de tous les instants. À ce tournant du jour, le poids pèse soudain très lourd aux épaules qui le portent.

Aidez-moi !

Vous le savez, vous, que je les aime. Oui, tous, et du même amour. Les difficiles. Les intraitables. Ceux qui taquinent méchamment et s’amusent de ma détresse devant leur attitude frondeuse. Ceux qui me font cruellement douter, au plus intime de moi-même, de mes capacités d’éducatrice et de mon doigté de façonneuse d’âmes.

Je les aperçois au bout de la rue. Ils se hâtent vers la maison, vers moi. Ils auront faim, soif, chaud. Ils se détendront du carcan scolaire en criant à tue-tête, en se disputant. Ils amèneront des camarades auxquels je devrai m’intéresser.

Aujourd’hui, je voudrais fuir cette servitude que mon amour m’impose. Le jardin me fait signe. Oh ! m’étendre sous l’orme, dans l’herbe odorante, et rêver. N’appartenir qu’à moi-même. Bienheureuse solitude à laquelle j’aspire, moi, l’encombrée de toutes les petites choses indispensables au bien-être des miens.

Restez là, Seigneur.

Je sens que ma faiblesse va quêter une compassion humaine qu’elle ne trouvera point. Voici venir la tentation de l’impatience et du découragement. C’est aussi l’heure du don.

Pour que je les accueille comme je le dois, avec mes bras, avec mon cœur, soyez là, tout près, mon Dieu. J’ai tant besoin de vous pour répondre au besoin qu’ils ont de moi.

 

 

 

Paule DAVELUY.

 

Paru dans L’Anneau d’Or

en septembre-octobre 1959.

 

 

 

 

 

 

 

 

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