Le Limousin

 

 

                                         Ô terre de granit recouverte de chênes !

                                                                     A. BRIZEUX.

 

 

Terre du Limousin salut ! terre des chênes,

Des rochers de granit et des grands châtaigniers,

Des fontaines en pleurs, à l’ombre, sous les frênes,

Des prés ceints d’aubépine et de verts noisetiers ;

 

Terre des durs travaux, toi dont le sein aride

Ne donne au laboureur que de maigres moissons.

Ton unique parure est la prairie humide

Et l’ombreuse forêt ondulant sur tes monts ;

 

Pays des frais vallons tout baignés d’eaux courantes,

Où l’aulne au noir feuillage et le saule argenté

Bercent sur le flot pur leurs branches frémissantes ;

Pays de grâce aimable et d’agreste beauté :

 

Tu ne vois pas fleurir les myrtes et les roses

Qui mêlent leurs parfums aux bords de l’Eurotas,

Ni sourire à l’aurore, entre les lauriers-roses,

Une blanche Vénus, fille de Phidias ;

 

Tu n’as pas les fruits d’or de la terre bénie,

De l’heureuse Italie, où les anges du ciel,

Les héros et les dieux inspiraient le génie

Du sombre Michel-Ange et du doux Raphaël.

 

Ta couronne est moins riche, ô mon humble patrie !

Les arts n’ont pas grandi sous ton pâle soleil.

Et leur souffle puissant, ô ma mère chérie,

N’est pas venu troubler ton paisible sommeil.

 

Comme au temps des Kymris, terre fière et naïve.

Hors la chute du ciel n’ayant rien redouté,

Tu reposes en paix dans ta force native

Dans ta simple grandeur et dans ta liberté !

 

Sous les larges rameaux des chênes séculaires,

Aux pieds de tes dol-men ou de tes hauts men-hir,

Le barde ne vient plus le soir, dans les clairières.

Jeter son chant de guerre aux siècles à venir.

 

L’ovate ne va plus, à l’heure solennelle,

Avec la druidesse au pouvoir protecteur,

Sur les arbres sacrés, de jeunesse éternelle.

De sa faucille d’or cueillir le gui sauveur.

 

Mais maintenant encor, terre forte et choisie,

Immuable et fidèle ainsi qu’aux anciens jours,

Tu gardes pour tes fils ta douce poésie,

Et tes vieilles forêts pour leurs jeunes amours.

 

L’hiver, en entendant sous leur toit solitaire

Gémir les vents plaintifs, les vieillards inquiets

Croient que les dieux déchus, descendus sur la terre,

Se lamentent entre eux qu’on les ait oubliés.

 

Même on dit qu’en secret célébrant leurs mystères,

Fantômes incertains, on voit parfois, la nuit,

La blanche druidesse et les prêtres austères

Sur leurs autels tombés venir pleurer sans bruit !

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Eh bien ! je t’aime ainsi, j’aime ta solitude,

Et ta lande stérile, et tes rochers muets !

J’aime de tes torrents la voix puissante et rude

Mêlée au bruit des vents sur tes libres sommets !

 

J’aime les vents fougueux qui viennent d’Armorique,

Et le souffle léger de ces brises du Nord

Qui sèment les trésors de ton écrin rustique,

Digitales de pourpre, ajoncs et genêts d’or.

 

J’aime, au sein des forêts calmes et parfumées,

Tes humides vallons pleins d’ombre et de fraîcheur,

Où les merles jaseurs sifflent sous les ramées,

Près des sources d’eau vive au murmure moqueur.

 

J’aime, au milieu des prés et des landes fleuries,

Les bœufs au pas paisible, au long mugissement ;

Au penchant des coteaux tes humbles métairies

Dont la fumée au loin s’élève lentement.

 

J’aime au-dessus des bois aux cimes balancées,

Pour nous montrer le but et l’espoir éternel,

Avec leurs toits d’ardoise aux flèches élancées.

J’aime tes hauts clochers « montrant du doigt le ciel » !

 

J’aime ta paysanne, aux beaux jours des dimanches,

Avec sa robe neuve aux voyantes couleurs,

Avec son barbichet, sa coiffe aux ailes blanches,

Allant prier son Dieu par tes sentiers en fleurs.

 

À chaque instant vers toi s’en va ma rêverie ;

Sévère ou gracieux tu me plais tour à tour,

Attrait toujours nouveau, charme de la patrie,

Qui nous étreint le cœur d’un invincible amour !

 

 

 

Gaston DAVID,

Le Poème de la Vie.

 

Recueilli dans La race et le terroir :

Anthologie des poètes du clocher (1903).

 

 

 

 

 

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