Les alouettes
Des temps passés oubliant les outrages,
Je sommeillais ; pourquoi me réveiller ?
Qui vient ainsi béqueter mes vitrages ?
Qui donc m’arrache à mon doux oreiller ?
L’aurore accourt sur nos vastes retraites
Éparpiller les roses de son teint.
Filles des champs, gentilles alouettes,
Réveillez-moi quand naîtra le matin.
Les durs labeurs d’une triste jeunesse
Ont avancé pour moi le cours du temps ;
À la santé pour qu’enfin je renaisse,
De tous mes vœux j’appelle le printemps ;
Mais le voici ; dans mes veines secrètes
Circule un sang plus vermeil, plus mutin :
Filles des champs, gentilles alouettes,
Réveillez-moi quand naîtra le matin.
Dieu ! quel spectacle à mes yeux se présente !
Tout se revêt des plus vives couleurs !
Une rosée active et bienfaisante
Gorge de sucs le calice des fleurs.
En se glissant dans les feuilles discrètes,
L’abeille accourt y chercher son butin.
Filles des champs, gentilles alouettes,
Réveillez-moi quand naîtra le matin.
Le soleil vient ; d’un seul rayon qu’il lance
Les noirs brouillards sont fondus, engloutis ;
Au sein des airs à l’instant qu’il s’élance,
Grands sceptres d’or, que vous êtes petits !
Rubis, saphir, diadèmes, aigrettes,
Auprès de lui, tout pâlit, tout s’éteint.
Filles des champs, gentilles alouettes,
Réveillez-moi quand naîtra le matin.
Astre immortel, voilà l’heure où je t’aime ;
Souvent plus tard tes rayons imprudents
Pompent la terre, et te forcent toi-même
À soulever des orages ardents.
La foudre alors vient gronder sur nos têtes ;
Malheur, hélas ! à celui qu’elle atteint !
Filles des champs, gentilles alouettes,
Réveillez-moi quand naîtra le matin.
Ce vaste azur, quand le soleil se lève,
Est embaumé de parfums amoureux ;
Vers l’Éternel mon âme alors s’élève,
Et je devine un monde plus heureux.
L’écho muet de ces plaines muettes
Trahit pour moi les secrets du destin.
Filles des champs, gentilles alouettes,
Réveillez-moi quand naîtra le matin.
Paul-Émile DEBRAUX.
Recueilli dans
Recueil gradué de poésies françaises,
par Frédéric Caumont, 1847.