La jeune mère
Que ton sommeil est doux, bel enfant, tête blonde !
Comme on voit que tu n’as rien connu de ce monde
Que mes baisers sur tes deux yeux !
À ton front si serein, l’essaim des jeunes anges
Pourrait, s’il ne manquait des ailes sous tes langes,
Te croire un jeune ange comme eux.
Quand ta figure ainsi tout doucement sommeille,
Elle est plus blanche encor, ta joue est plus vermeille,
Sous tes longs cils que j’aime tant :
À les voir, on prendrait tes paupières baissées
Pour deux ailes d’abeille ombreuses, et posées
Sur les pétales d’un lis blanc.
Sur ton visage empreint des grâces de l’enfance,
Où brille tout un ciel de paix et d’innocence,
Ta belle âme se montre à jour :
On voit que Dieu toujours, dans cette glace unie
Que le souffle mauvais n’a pas encor ternie,
Doit se mirer avec amour.
Surtout ne livre pas ton âme si candide
Au vent du monde impur qui fane et rend aride
Les enfants, les fleurs comme toi :
Dieu pleure, quand, à peine écloses sur la terre,
Il voit ces fleurs, bien loin de sa douce lumière,
Se sécher et mourir de froid.
Mais, lorsque sur mon sein en larmes je te presse
Et que je t’offre à lui, mon trésor, ma richesse,
Présent que je dois rendre au ciel,
Je vois à ton regard, je sens à ma prière
Qu’il ne refuse pas une offrande si chère
Sur l’autel du cœur maternel.
Et puis, je couvrirai tes jours d’une ombre amie ;
J’irai, sur le chemin que nous nommons la vie,
De tes pas écartant toujours
La pierre qui meurtrit, l’épine qui déchire,
Et ne te demandant qu’un caressant sourire
Pour mon salaire et mon amour ;
Et je te montrerai, sous des fleurs enivrantes.
Caché par les plaisirs, dans leurs danses riantes,
L’abîme infernal et profond
Où l’insensé s’enfonce en jetant un blasphème,
Lui qui ne voyait pas, sous ces fleurs d’anathème,
Deux yeux de feu reluire au fond.
Ô mon enfant ! je veux que ton premier langage
Soit tout empreint de Dieu qui te fit son image :
Je veux que ta prière au ciel
S’endorme tous les soirs, aimante et virginale,
Et se réveille ailée, à l’aube matinale,
Avec l’encens des fleurs de miel ;
Je veux que la croix sainte à ton cou suspendue
Te dise ce que c’est que le péché qui tue,
Pour que Dieu dût mourir ainsi ;
Et que tu saches bien, après tant de souffrance,
Tant d’amour pour rouvrir le ciel et l’espérance,
Comme tu dois l’aimer aussi.
Je te mettrai si bien tes petites mains jointes,
Je te ferai lever vers les images saintes
Si bien tes yeux bleus pour prier !
Avec tant de douceur et de grâce infinie,
Tu diras les doux noms de Jésus, de Marie,
À genoux sur mon tablier !
Adolphe DECHAMPS, Poésies.
Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi
par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,
professeur à l’Université de Liège, 1874.