Dernier chant d’une mère
I
Souvent j’avais rêvé qu’un ange
Aux blonds cheveux, au teint vermeil,
Quittant la céleste phalange,
Viendrait surprendre mon réveil :
Sa bouche serait une rose,
Du ciel ses yeux auraient l’azur ;
Comme une blanche fleur éclose
On verrait briller son front pur.
Il aurait le plus doux sourire,
Et, dans les accents de sa voix,
On croirait entendre une lyre
Murmurer un chant d’autrefois.
Cet ange qu’appelait mon rêve,
Il voulut bien quitter les cieux,
Et, comme un astre qui se lève,
Un jour il vint ravir mes yeux.
Dès ce moment, je fus heureuse :
Je m’étais prise à l’adorer !
J’aimais tant sa bouche rieuse
Qui commençait à murmurer...
Je l’aimais tant quand ses mains roses
S’ouvraient et se tendaient vers moi,
Quand il disait de douces choses,
Quand il rêvait qu’il serait roi !...
Je l’aimais tant quand sa paupière,
Sous l’aile d’un léger sommeil,
S’était fermée à la lumière
Et que j’attendais son réveil ;
Je l’aimais tant lorsqu’à lorsqu’à ma vue,
Ses yeux venaient à se rouvrir !
Je craignais dans mon âme émue
Que le bonheur ne fît mourir.
Il était l’âme de ma vie,
Mon enfant, cet être adoré ;
Aux mères je portais envie,
C’était comme un songe doré...
Hélas ! ce bonheur, en ce monde,
Était trop pur... Un jour affreux,
Tout à coup la douleur profonde
Vint de son séjour ténébreux
M’envelopper d’un voile sombre :
Lui, mes plus fidèles amours,
La mort le couvrit de son ombre,
Car elle avait compté ses jours...
Au ciel, sa première demeure,
Il retourna, cet ange aimé,
Sous mes baisers, lui que je pleure,
Il ne put être ranimé !...
Son corps est là, sous cette pierre,
Qui dort de sommeil !
Je ne verrai plus sa paupière
S’ouvrir sous un rayon vermeil...
De ses lèvres ma lèvre heureuse
Ne connaîtra plus la douceur :
Sa voix ne viendra plus, joyeuse,
Verser l’ivresse dans mon cœur !
Et dans les boucles ondoyantes
De ses cheveux aux reflets d’or,
Ma main ne pourra, caressante,
Errer et se jouer encor...
II
Mon enfant, dis-moi, de ta mère
Ne vois-tu pas couler les pleurs ?
Ah ! la source en est trop amère,
C’est ressentir trop de douleurs !
Du ciel, ton heureuse patrie,
Où l’éternel bonheur t’attend,
Jette les yeux, oh ! je t’en prie,
Sur ta mère qui t’aimait tant !
Si tu ne peux voler vers elle,
Oh ! par Pitié ! demande à Dieu,
Qu’entrant dans ta vie éternelle
À la terre elle dise adieu.
Où tu n’es pas pourrais-je vivre ?
Que puis-je aimer où tu n’es pas,
Quand l’amertume qui m’enivre
A flétri chacun de mes pas ?
Enfant, ô ma première joie !
Que sur mon sein j’ai vu dormir,
Dans la douleur que Dieu m’envoie,
Pourrais-je jamais m’affermir ?
Je t’ai veillé des nuits entières,
Penchée aux bords de ton berceau,
De mes chansons, de mes prières
Je t’ai bercé, faible roseau...
J’ai vu, pour toi, pâlir ma joue
Quand paraissait l’aube du jour,
Mais de la fatigue on se joue
Quand au cœur on a tant d’amour !
Je t’ai chéri dans mon ivresse,
Chéri comme un présent de Dieu ;
Je t’ai béni dans ma tendresse
Comme un premier et dernier vœu...
Je t’ai donné toute mon âme !
Ma vie entière était à toi !
Tu nourrissais toute la flamme
Et de mon cœur et de ma foi !
Mes vœux, toutes mes espérances,
Mes plus doux rêves d’avenir,
Environnaient ta jeune enfance :
Ah ! devaient-ils sitôt finir !
Je t’appelle... et ta voix chérie
À mes accents ne répond plus ;
Au milieu des sanglots je prie,
Et mes regrets sont superflus...
J’ouvre les yeux, je crois encore
Comme toujours, là, te revoir :
Et rien... plus rien... de mon aurore,
Je n’ai plus un rayon d’espoir.
Avais-je l’âme préparée
À tant pleurer, à tant souffrir ?
Que ma vie est décolorée !
Mon Dieu, si je pouvais mourir !
III
Petit ange qui vins sur terre
M’apporter un jour de bonheur,
De ma pauvre âme solitaire
Reprends, reprends toute l’ardeur.
Je n’aimerai plus, dans ma vie,
Que cette pierre où, chaque jour,
Mon âme brisée et flétrie
Viendra répandre son amour.
Je n’aurai plus de joie au monde
Qu’à couvrir ce tombeau de fleurs,
Et, dans ma tristesse profonde,
Qu’à venir l’arroser de pleurs...
Je n’aurai plus que ton image,
Seul espoir de mon avenir,
Mon cœur n’aura plus en partage
Que ta tombe et ton souvenir.
Toi, l’auréole de ma vie,
Doux rayon qui me vint de Dieu,
Ton âme à mon âme est ravie...
Ah ! c’en est fait !... pauvre ange, adieu !
1852.
Albert DECROIX, Fleurs d’un jour, 1856.